Topographies de la guerre
Célébrer le premier anniversaire du BAL sous le signe de la guerre est un acte fondateur fort. Topographies de la guerre, en engageant une réflexion polymorphe et profonde sur la représentation de la guerre positionne l’institution sur le terrain d’un art qui questionne son époque et féconde le regard de son intelligence. Une exposition brillante et d’une beauté formelle remarquable. Images concrètes des traces physiques de la guerre, procédés visuels artistiques qui la simulent, déréalisation de celle-ci par les jeux vidéos… Autant de perspectives qui éclairent et circonscrivent habilement le concept d’un mouvement de va-et-vient entre un avant et un après de la guerre. La richesse du propos se situe d’abord dans cette unité de temps oscillante. Puis une autre force de l’exposition se découvre progressivement : l’interrelation entre la topographie, discipline de la représentation par essence (représenter les formes, le relief sur une carte) et la création artistique, qui partagent certaines problématiques. Comment faire exister ces images du monde ? Comment illustrer une ancienne
absence ? Aussi, la fabuleuse série de photographies de Paola de Pietri s’attarde-t-elle sur les blessures du paysage ; tranchées, tombes, casemates, où les Alpes apparaissent transfigurées en un corps inerte et meurtri. Reliefs aux souvenirs confus et à l’éloquence discrète où la guerre parle sans corps et sans cris. Paysages urbains cette fois, les murs de Beyrouth de l’artiste Walid Raad redimensionnent quant à eux le conflit meurtrier par le détour du regard de l’enfance. En apposant des gommettes fluo comme autant de symboles d’impacts de balle sur des images de ruines Let’s be honest, the weather helped, travail commencé huit ans après la fin de la guerre civile libanaise, parvient presque à adoucir son très lourd tribut (250 000 victimes civiles). Enfin, par la position qu’elle offre au regardeur, la très récente vidéo Shadow Sites II de Jananne Al-Ani qui ouvre l’exposition est sans doute la plus renversante. Filmé d’en haut, d’un surplomb froid qui permet sans doute l’analyse, le désert jordanien offre ses lignes graphiques en un noir et blanc dont la beauté affolante dépasse le sujet, voire l’efface. Pendant ces huit minutes, la guerre a disparu.