Virginie Yassef — Galerie G.-P. & N. Vallois
Du 17 janvier au 1er mars, Virginie Yassef présente, à la galerie G.P. & N. Vallois « Au milieu du Crétacé », une exposition personnelle qui réunit et réactive quelques-uns de ses derniers projets. L’installation, d’une belle cohérence dans sa tension entre gravité et burlesque, offre une réflexion ouverte, profonde et inattendue sur notre rapport à la nature. Pas de hasard, une partie de ce travail a été imaginée pour le parc des Buttes-Chaumont, monument d’artificialité mêlant génie civil et utilisation de motifs naturels, une conjonction qui offre une grille de lecture passionnante face aux œuvres de l’artiste.
« Virginie Yassef — Au milieu du Crétacé », Galerie G-P & N Vallois du 17 janvier au 1 mars 2014. En savoir plus On entre dans la galerie comme on pénètre en une forêt étrange, habitée d’une inquiétante rumeur. Celle des cris et des onomatopées émaillant une discussion entre bûches et pierres artificielles disposées au sol, ou celle encore de ce tronc d’arbre mécanique échoué qui menace perpétuellement de s’effondrer. Ou plutôt faudrait-il dire menaçant de se réveiller tant son truchement, barrant l’accès à la salle d’exposition, interdit une progression évidente au cœur de l’exposition. La nature n’est pas une amie ; elle semble vivre, autonome et féconde, mystérieuse à nos yeux mais cohérente à elle-même. Pourtant, la force de Virginie Yassef est précisément de renverser l’attendu en y instillant assez d’éléments de doute pour faire naître une véritable réflexion. Nous voilà donc plongés « au milieu » du crétacé, au centre géographique d’une période historique. À l’image de l’ambiguïté du titre de son exposition, Virginie Yassef invente un monde sans humanité, où les interactions des êtres vivants se passent d’une lecture signifiante.Comme mus par une tragédie à venir (la fin du crétacé est marquée par l’extinction massive d’êtres vivants sur la planète), les objets qui peuplent ce décorum sont issus de mutations, se sont adaptés à leur contexte. La roue de queue de paons est une reprise d’une œuvre précédente, les deux masques, autrefois portés par des enfants, vivent à présent tels deux reliques monstrueuses, mini-totems perturbés qui fixent l’ensemble, impassibles. Même le triptyque présentant un alligator est une reprise d’un Scénario fantôme de l’artiste. S’écrit une histoire passablement obscure, dépourvue de langue et pourtant bien réelle. Dans chaque recoin se profile une possible narration, à l’image des Scénarii de l’artiste qui unissent en un même lieu des éléments disparates, des temporalités différentes. La géographie se fait histoire et finit de maintenir en suspens nos attendus face à un univers dont l’étrangeté fait la cohérence.
Si Virginie Yassef, particulièrement avec cette exposition, convoque l’imaginaire de l’absurde à travers la référence directe à Les Recherches d’un chien de Franz Kafka, subsiste un souci du détail et de l’angoisse qui dépasse la mise en scène burlesque. Chuchotante (la conversation des pierres), mécanisée (la roue de plumes de paons autant que le tronc d’arbre), déguisée (les masques d’enfant devenus personnages) et expérimentatrice (déclinaison d’une image de scénario en trois couleurs), cette nature s’est bien parée des attributs de l’humanité. Révélant à mesure de sa découverte des attributs étrangement humains, la forêt de Virginie Yassef devient un environnement délibérément hostile, non pas dangereux mais définitivement opposé à notre culture, celle-là même dont le nom est tiré de la domestication de la nature. Un dernier renversement de perspective qui devient alors une pure démonstration de ce que peut notre humanité ; à rebours de la métaphore, Virginie Yassef fait émerger une déduction de ce que serait notre forêt, débarrassée des fantasmes d’une congruité nature / culture pour assumer ce pouvoir essentiel de l’humanité ; réinventer sa propre nature, autant que sa propre « étrangeté » au monde.