Ulla von Brandenburg, Die Strasse — Galerie Art : Concept
Née en 1974 à Karlsruhe, Ulla von Brandenburg vit et travaille à Paris depuis de nombreuses années et se réalise autant dans la vidéo, le dessin que les installations.
Marie Maertens : Cette nouvelle exposition à la galerie Art : Concept est centrée autour du film Die Strasse (La Rue), qui montre la déambulation d’un homme dans un univers qu’il semble découvrir, délimité par des décors de théâtre. Quelle a été la genèse de ce projet ?
Ulla von Brandenburg — Die Strasse @ Art : Concept Gallery from November 30, 2013 to January 25, 2014. Learn more Ulla von Brandenburg : Auparavant, je réalisais plutôt des films dans des intérieurs qui me permettaient d’explorer des questions liées à la vie familiale, mais j’ai ici choisi une rue car c’est un lieu public dans lequel d’autres interrogations se posent et où l’on tisse des liens différents. Même s’il s’agit d’une rue de théâtre ou d’un village, constitué d’un petit nombre de maisons basses. Je travaille beaucoup sur le carnaval et les rites et j’ai imaginé que tous les protagonistes étaient en train de préparer une fête lorsqu’un intrus arrive de l’extérieur, comme s’il pénétrait les coulisses d’un spectacle. Cela renvoie à l’une de mes questions récurrentes à savoir ce qui est vrai et ce qui est faux… Quelle est la réalité ? Est-ce un vrai village ? Car l’on voit bien que ce sont des façades, mais en même temps il s’agit d’une sorte de vérité. On ne sait pas d’où vient exactement cet homme, mais l’on comprend que c’est d’un monde nourri d’autres valeurs ou modes de communication. Par exemple, dans l’une des scènes, on lui requiert de l’argent et Marcello, comme je l’ai nommé, essaye de lui donner une pièce dont le manant ne veut pas. Cela signifie que son système de paiement ne fonctionne pas dans ce village. Un autre moment dévoile qu’un personnage, vêtu d’une peau de vache, attaque une femme. Marcello pense alors devoir intervenir et repousse l’homme. Mais on se demande s’il a raison ou si cette scène appartient à un rite qu’il ne connait pas et qu’au final, il dérange les choses. Avec mon « rôle » d’être une allemande en France, je m’interroge sur les différents systèmes de valeur.Oui, justement, quel est le rôle assigné à ce Marcello qui erre, de manière poétique, mais aussi un peu interrogative…
Marcello vient d’ailleurs, même si les habitants de ce village sont peuplés de différentes nationalités. Une femme est originaire d’Afrique du Sud, une autre de Suède, mais peu importe de quel pays l’on vient… Cette balade est une métaphore de ce que l’on fait chaque jour de la vie. On se retrouve face à une succession d’actions et la manière dont on manœuvre, forme notre vie et notre être.
Un texte, chanté en allemand, rythme l’ensemble, sans donner une clé de lecture trop précise. Comment a-t-il été composé ?
Mes textes sont comme une écriture automatique et je les rédige dans un état dans lequel j’essaie d’être plus inconsciente que consciente, afin de sortir ce que j’ai dans la tête d’un seul tenant. J’écris toujours en allemand, donc c’est nourri de nombreux jeux de mots ou comptines. C’est ce qui rend la présentation du film plus difficile dans d’autres pays, mais il est important pour moi de montrer cette subtilité du langage et de ne pas choisir l’anglais que tout le monde parle. Une fois que j’ai conçu le texte et la musique, je les donne aux acteurs qui doivent apprendre par cœur les paroles pour pouvoir chanter en playback, car lorsque je tourne, je mets la musique et c’est comme un clip vidéo !
Marcello, c’est un clin d’œil à Mastroianni ? Ou plus généralement une référence au cinéma italien ?
C’est vrai que lorsque j’étais en résidence à la Villa Médicis, de Rome, j’ai beaucoup regardé le cinéma néoréaliste et peut-être que le physique de cet acteur rappelle ceux des films de Roberto Rossellini. Même si le film a été réalisé en France, je l’ai imaginé en Italie.
Ce que j’aime aussi beaucoup dans ton travail est qu’il y a un côté très spectaculaire et immédiat, notamment par les décors et tissus, puis l’approche plus posée et conceptuelle des films… Est-ce important au moment où tu réalises tes accrochages ?
Mon but est toujours de propulser le visiteur dans un autre monde et, pour accentuer ce voyage, je camoufle l’espace existant. Le lieu de l’exposition serait comme une immense scène qui constitue un terrain de préparation pour le visiteur afin qu’il soit plus ouvert et plus actif. Dans la seconde salle, l’architecture de la galerie reflète ce que l’on voit dans le film, en symbolisant une rue qui serait à l’envers. Car dans la dernière scène du film, une vieille dame tient un miroir convexe dans ses mains, qui renvoie la réalité, mais dans un autre sens. Comme dans Alice au pays des merveilles, on rentre dans un miroir pour pénétrer dans un monde où tout est inversé. C’est pour cela que dans la galerie, les escaliers sont au plafond… J’ai aussi disposé de vrais accessoires utilisés dans le film, par jeu et là encore pour brouiller les sensations…