Alessandra Spranzi, Paola de Pietri, CPIF, Pontault-Combault
Le Centre photographique d’Île-de-France organise une double exposition en forme de rencontre entre les deux artistes italiennes Alessandra Spranzi et Paola De Pietri. Si la première transforme des images existantes glanées dans des tirages divers, la seconde capture des paysages, urbains ou ruraux, peuplés ou déserts. La confrontation de ces deux univers très différents offre une exposition équilibrée, un double regard saisissant et actuel sur notre monde.
« Paola De Pietri / Alessandra Spranzi », CPIF — Centre photographique d’Ile-de-France du 18 janvier au 29 mars 2015. En savoir plus Face aux propositions presque documentaires de Paola De Pietri, Alessandra Spranzi déjoue le document pour le pousser vers le rêve, vers le doute. Presque exclusivement constitué d’intérieurs, l’ensemble des photographies de l’artiste dépouille ces espaces personnels de toute intimité en n’y mettant en exergue que des détails, à l’image de la série Sortilegio, des gestes enregistrés dont on ne perçoit que les mains. L’artiste y construit une série d’archives énigmatiques où les doigts dessinent une véritable chorégraphie. En douceur, ses images se succèdent en un catalogue de visions possibles, de descriptions dont le réalisme, ainsi segmenté et détaché, semble justement pousser vers l’irréel.Un processus à l’œuvre dans sa très belle série Nello Stesso Momento, où les collages et découpes insèrent dans les images une dimension métaphysique qui suspend le réel et augmente la douceur onirique de ces tirages. Fragments d’histoire, ils perturbent notre vision et font émerger un invisible offert à la sensibilité, laissant à chacun le loisir de s’approprier ces objets d’un monde sans indice de frontières. Un brouillage que l’on retrouve chez Paola de Pietri qui, à sa manière, désigne elle aussi des lieux impossibles à localiser.
En fixant la réalité du monde à travers une technique limpide, Paola De Pietri capture des zones géographiques uniques, des constructions (contradictions) architecturales qui dessinent des motifs étranges, à l’image de ses Istambul New Stories et le rapport ambigu entre une population et sa ville, en pleine mutation. Mais ces lieux de regroupement immobiles dans le paysage forcent également à penser dans ces structures de béton la place des hommes absents. Car il s’agit d’espaces en quête d’humanisation, hostiles (dômes de béton, barrières, tubulures, champs dégagés) vides ou seulement peuplés d’un sujet.
Les histoires restent à y écrire, quand d’autres sont déjà effacées, ainsi que To Face, série consacrée au front qui opposait l’Italie et l’Autriche au cours de la Première Guerre mondiale. Au cœur de la montagne, des traces d’une guerre qu’on devine plus qu’on ne les voit, Paola De Pietri fouillant ce paysage lunaire à la recherche de ses secrets. C’est cette même vie intérieure qu’elle captait, au début des années 2000, près d’une zone de transit d’un aéroport, figeant tous ces flux de mouvement en faisant poser les voyageurs sur un fond neutre.
Une variété qui, couplée à celle d’Alessandra Spranzi, offre à ces deux expositions une richesse plastique indéniable. Riche de contrepoints, les compositions des deux artistes questionnent ainsi en profondeur notre propre façon d’habiter le monde, autant que des traces que l’on y laisse.