Claude Cahun
Claude Cahun n’est pas né(e) à la bonne époque. Inconnue jusqu’en 1980, il fallu des yeux contemporains pour savoir aimer son œuvre. Source d’inspiration profuse de l’esthétique contemporaine, l’intrigante trans-genre a violemment choqué de son vivant. Dès les années 1920, son art contient déjà toutes les réflexions qui tisseront un large pan de la création consacrée aux questions d’identité et de genre, de Cindy Sherman à Valérie Belin. Dans une belle pénombre, le parcours volontairement limité à un seul niveau, agit comme un cri. Il réussit à exprimer toute la rage et la morgue d’une œuvre activiste. Pour prendre véritablement acte de cet engagement et se convaincre du caractère politique de son art, il faut revenir au radicalisme du manifeste de la FIARI (Fédération internationale révolutionnaire de l’art) à laquelle elle se lie dans les années 1940. Quand Trotski parle, Cahun acquiesce, poing levé : « Le combat pour la vérité artistique (…), dans le sens de la fidélité inébranlable de l’artiste à son moi intérieur doit reprendre. Il faut que chaque artiste cherche une issue par ses propres méthodes, sans attendre des ordres de l’extérieur, en refusant les ordres ». La photographe ne brisera qu’une seule fois cette loi d’airain de non-obéissance ; pour y adhérer. Mais Cahun n’a pas attendu ces injonctions pour livrer des autoportraits provocateurs et
insoumis. Ceux-ci naissent invariablement d’une lutte intransigeante contre toute forme de coercition. Choquer pour échapper à ce qui pourrait essentialiser son homosexualité, sa judéité, son être. Et pour mettre à mal cette identité générique, Claude Cahun n’a pas seulement changé de nom, elle se transfigure jusqu’à donner le vertige. Quelques années séparent un autoportrait de l’artiste la montrant féminine, raffinée, romantique, très grande bourgeoise, de celui d’un homme rasé, presque malingre, au regard perdu et menaçant.
« Il faut que chaque artiste cherche une issue par ses propres méthodes, sans attendre des ordres de l’extérieur, en refusant les ordres. »
La femme devenue homme pour se déguiser à nouveau en femme. Croisements, constructions en chiasme qui brouillent les pistes et poussent à observer à maintes reprises les tirages pour être sûr. Mais être sûr de quoi ? S’il s’agit d’un ou d’une. C’est précisément contre ce regard qui range, classe, affilie catégoriquement, que Cahun pense sa création. Chacun de ses tirages gélatino-argentique est ainsi le fantasme d’une abolition du jugement binaire, l’idéal neutre qui atteindrait l’universel.