Nick Devereux — As it is and not as it should be
L’œuvre de Nick Devereux est un manifeste. Un manifeste de la forme, un manifeste du regard. Derrière le prodige technique, derrière les compositions clairement référencées, Devereux impose un nouveau regard. Derrière, mais surtout devant. De toute la force de son titre, As It Is and not as It Should Be, l’exposition personnelle de Nick Devereux présentée par la galerie Bugada & Cargnel en appelle à la fin de la modalité, pour lui préférer le concret, l’image au premier plan, « ce qui est et non ce qui devrait être. » Au travers de la dizaine de tableaux accrochés, c’est une notion fondamentale de la vision qui est réintroduite, l’image reflétée au plus près de la conscience, l’image devenue conscience d’elle-même.
L’oubli n’a plus rien d’un défaut, il se mue en une abondante addition de matière, une condition de création.
Car s’il travaille sur la disparition, reprenant à dessein des techniques du passé ainsi que des tableaux dont il biffe les visages pour y imposer sa propre forme, Devereux déjoue toute nostalgie en lui opposant cette fabuleuse invention d’un souvenir de ce qui n’aurait jamais existé, d’un monde paré de la vertu créatrice de l’oubli. C’est là toute sa force, l’oubli n’a plus rien d’un défaut, il se mue en une abondante addition de matière,
une condition de création. Dans ce mélange de références passées et de chimères, de figures mythologiques et de motifs minimalistes très contemporains, c’est tout un imaginaire qui se découvre. Et pas seulement celui de l’artiste.
Le tour de magie de Devereux décale l’essence même du regard ; l’oeil vient s’agripper aux formes, s’échouer sur les épaisseurs de fusain, se perdre dans les tissus et les fers emmêlés de ces entités aveugles, prisonnières de leur outrance. En silence, les traits virtuoses propulsent le regard de part en part du tableau, dessinant les routes sans fin d’un nouveau monde, entièrement contenu dans ce choc frontal.
Ce classicisme brut, débarrassé de tout arrière-monde, est simplement parcouru par le poids du silence, par un étrange secret qui continue de cacher les formes mais ne se cache plus, il saute aux yeux, les tient captifs et leur impose toute son étrangeté. Une étrangeté à l’œuvre dans ce choix de tableaux qui, nourrissant cet écho muet, des portraits sans visages aux corps emprisonnés, laisse résonner l’urgence d’un autre regard. L’œuvre de Nick Devereux, c’est l’image manifeste, la disparition de l’identifiable, du visage, pour capturer celui du spectateur et faire venir à lui ce regard pur, évidé de son besoin d’intelligence, en face-à-face direct avec la forme, capable enfin d’appréhender la véritable différence. Nick Devereux proclame la réalité absolue de la transformation pour en finir avec la distance du possible, avec la pudeur du conditionnel, il peint des formes du haut de cette vertigineuse évidence ; ce qui est créé est ce qui est.