Marion Verboom — Galerie Lelong & Co.
Toujours aussi subtil et profond, l’univers de Marion Verboom s’enrichit d’un travail sur le verre qui déboussole ses échelles et renouvelle le regard sur son œuvre. Elargissant par là son langage plastique, elle continue de nous raconter l’histoire qu’elle remonte comme une mécanique affective.
Marion Verboom — Da Coda @ Lelong & Co. Matignon Gallery from May 16 to June 29. Learn more Avec sa nouvelle exposition personnelle Da Coda, l’artiste propose à l’espace Matignon de la galerie Lelong & Co. deux sections qui reflètent la mécanique interne de ses propres créations. Poursuivant dans la pièce principale la génération d’achronies, elle invente de nouvelles colonnes monumentales constituées d’éléments piochés dans un répertoire personnel de formes aux références esthétiques et historiques plurielles au sein desquels saillent deux visages, ceux de Virginia Woolf et Simone de Beauvoir.Le visiteur se voit confronté à des masses qui en perturbent la progression et intègrent la dimension architecturale du lieu. Plus habitués à les voir exposées dans des espaces dégagés, on les découvre ici qui atteignent presque le plafond et entretiennent l’illusion d’une fonctionnalité retrouvée. Dans cet intérieur quasi-domestique, la colonne redevient colonne et sa proximité, ses lignes aléatoires et ses couleurs chatoyantes interdisent au regard toute perception globale et définitive. Entre stabilité fonctionnelle et mouvement continu de la pensée, chaque achronie se donne comme un corps à côtoyer, à percuter autant qu’à contempler.
Empruntant les signes de différentes époques, elle tresse dans l’espace des séquences qui bousculent les ordres scientifiques (histoire, archéologie, génétique) et artistiques (sculpture, musique, littérature, peinture) pour compiler une somme d’inventions qui en inversent la perception. Par la terre, la matière et par l’analogie de sa construction avec la méthode du carottage utilisée pour témoigner de la succession de strates de temps, Verboom érige vers le ciel des motifs jusqu’ici cachés hors de leur ensevelissement symbolique. Ces trésors qu’ils auraient pu être deviennent des propositions esthétiques opérant chacune une jonction impossible des temps et des époques pour en troubler la rigide lecture traditionnelle.
Une même dynamique à l’œuvre dans les sculptures qui accompagnent cette monumentalité. Là, la finesse et la réduction d’échelle offrent d’emblée une sensation de familiarité avec des éléments à portée de main, taillés et détaillés cette fois pour notre regard. Pour mieux s’en détourner. Les figures se multiplient ; les regards fuient autant qu’ils se dédoublent, les formes absconses s’humanisent et les corps se voient soumis aux torsions aléatoires d’élements aboutés. Grâce et force percutante des contradictions de matière offrent des lignes d’une esthétique réussie où les valeurs et volumes se complètent avec une belle subtilité. Une humanité recomposée en quelque sorte, portant sur sa chair les marques de ses infinies modifcations passées et possibles dans ses croyances, dans ses convictions et ses lectures du monde. Chaque corps humain généré, où qu’il soit, porte sa part de possibilité d’imprimer sur ceux qui suivent autant que de se perdre dans ceux qui l’ont précédé. Plus que le temps donc, la présence et l’événement du corps fondent la raison d’être de ces lascives chimères.
Car derrière l’imposante gravité de la matière et de sa masse, il s’agit bien de redonner son sens à la vertu plastique. Derrière la somme de recherche, l’incessant apprentissage de l’artiste et son investissement personnel dans la technique et les médiums se joue une exploration de la matière qui en suit les comportements plus qu’elle ne les contraint et laisse ainsi naître des « effets » de sens. La création de Verboom s’inscrit d’autant plus dans l’horizontalité des sens et l’égalité des valeurs qu’elle s’élève et s’enfonce, qu’elle se détourne de la progression pour piéger in fine la linéarité.
Elle reconstruit ici son propre temps, empruntant au langage musical, le mieux à même d’évoquer la fragmentation toujours renouvelée de séquences d’éléments épars pour faire tenir en un lieu l’événement de leur rencontre. De même l’incessant renouvellement de la couleur, le plaisir de moduler des tonalités qui dépassent la fonctionnalité « pop » d’une recherche qui rejoint l’écriture musicale et fait de l’ornement la raison d’être de compositions à rejouer au rythme du regard. La richesse des corpus explorés par l’artiste, la multiplicité des champs approchés au cours d’un apprentissage constant qu’elle s’impose rendent d’autant plus impérieuse la générosité de son œuvre qui se déleste à son tour du trop-plein et favorise l’invention continue, l’affutage perpétuel du geste de sculpture.
Chaque œuvre dessine le paysage possible d’une temporalité qui révèle son impossible réduction à la strate. Plus précisément, le temps se donne en motifs et ses frictions, ses soubresauts en font le moteur explosif d’une invention sensible entre origines et aspiration mythologiques.
Entre un passé qui ne s’est jamais passé et celui qui nous poursuit, qui n’est jamais « passé », les figures de Marion Verboom assoient l’amplitude du temps sur des variations sensibles qui sont autant de raccourcis dans l’histoire pour nous rappeler que la distance temporelle n’altère en rien la proximité de ce qui est humain. Chaque artefact devient reste un « fait » dont nous sommes tous un parent proche, à même d’être par lui immédiatement touchés.