Pierre Joseph — La Galerie, Noisy-le-Sec
La Galerie de Noisy-le-Sec présente Hypernormandie, un projet inédit et radical de Pierre Joseph, créateur inclassable et iconoclaste qui repousse depuis plus de vingt ans les attendus de la pratique artistique.
Pierre Joseph — Hypernormandie @ La Galerie, centre d’art contemporain from January 22 to March 26, 2016. Learn more Sans s’enferrer dans une glose ou un processus engonçant, cette série de photographies, si elle active une multitude de questions et de problématiques dans notre rapport à la nature, tient d’abord de l’affirmation d’un choix esthétique. Avec une économie de moyens assumée, les photographies d’épis de blé imposent en premier lieu leur quasi-gémellité ; donnant l’illusion d’un multiple, la dizaine d’images couvrant les cimaises de l’espace d’exposition ne révèlent qu’après examen, leurs différences. Différence de nature d’abord avec deux types de blé, différence de lieux et temporalité ensuite. Si Pierre Joseph s’est attaché à gommer tout indice paysager, rejoignant ainsi une pratique photographique spécialisée professionnelle où le sujet constituerait l’essentiel du propos, où le détail ne serait précieux qu’à des fins informatives, une certaine émotion naît précisément de la perception des différences. Un épi solitaire s’élevant vers le ciel, une fleur sauvage qui se devine à travers les pieds, la pression exercée par le vent laissant sur certaines parcelles courbées les traces de sa force. Pierre Joseph, retrouve peut-être ici l’un des traits fondamentaux de la pratique créative, faire de sa production l’objet d’un partage, donné, exposé avec simplicité, l’art d’abord comme échange dont l’essentiel ne serait pas l’objet mais ce que produit précisément la rencontre.C’est par l’œil, par l’implication du spectateur, livré à lui-même, que se révèle une familiarité envers ce paysage qui semble si étranger lors même qu’il est constitué d’une matière première essentielle à son mode de vie. On rejoint ainsi l’ambiguïté fondamentale de cette Normandie industrialisée, qui a su voir l’homme domestiquer la nature pour en faire l’instrument de sa production et, d’information, la photographie se fait surveillance, comme une évaluation secrète que seuls des yeux experts en agroalimentaire sauraient déchiffrer et lire. Face à cette accumulation, c’est le spectateur qu’il invite à se perdre, à retrouver lui aussi son propre regard sur ces fragments de champs hissés à hauteur du regard à se laisser envahir par l’aspect primal, organique et fauve de plantes qui finissent de constituer une cadence visuelle analogue à sa progression physique au sein de l’espace. Dans ce déluge d’absence pourtant, fondé sur notre perception de la différence et de la répétition, les épis de blé imposent leur présence brute et la froideur conceptuelle qui semblait mener le projet se révèle au contraire une chaleureuse invitation à en redécouvrir la nature première.
C’est ainsi certainement à travers la dépersonnalisation inhérente à sa méthode, détachée de toute implication du sujet photographiant, qu’il opère un dernier décalage, sans doute le plus renversant. D’un titre d’exposition laissant entendre une « surindustrialisation » du monde rural, l’artiste semble tout aussi bien ouvrir la possibilité d’une perception de son être essentiel, un substrat concentré, dépouillé de toute contingence extérieure, une Hypernormandie fondamentale observée depuis la focale réduite et condensée de sa substance, dont l’abstraction pourrait voyager, quitter les terres normandes pour conquérir sa singularité jusqu’au cœur de Noisy-le-Sec.