Valérie Jouve — Cpif, Pontault-Combault
Valérie Jouve invente au CPIF un parcours photographique aussi sensible que puissamment ancré dans le réel qui joue des oppositions, des lignes, des matières et des sujets pour opposer au délitement social une résistance poétique. Une exposition d’envergure qui témoigne de l’importance du travail de l’artiste, plein de sensibilité et d’engagement.
« Valérie Jouve — Le monde est un abri », CPIF — Centre photographique d’Ile-de-France du 11 février au 14 avril. En savoir plus Portée par un titre qui joue de son ambiguïté, « le monde est un abri », oscillant entre la possibilité d’un réconfort permanent et la nécessité de se protéger d’une menace qui n’est pas nommée, l’exposition met en valeur des travaux d’époques différentes de l’artiste qui partagent une volonté de mettre en valeur les fissures, les fêlures de lieux ou d’environnement aptes à laisser s’y insérer des corps. Habités ou non, ils regorgent de lignes verticales qui disent toute l’ambiguïté d’un habitat qui « s’érige » contre l’extérieur et impose au corps une limite à sa liberté de mouvement. Plus que symbolique, cette variation autour entre villes et campagne, nature et construction met en scène la démonstration, par l’image, de la plasticité de notre rapport au réel.Les histoires, les différentes sensibilités, les affinités et convictions n’ont pas besoin de s’énoncer, elles se vivent et s’emmêlent dans le dialogue de notre regard avec les options, cadrages, motifs et accentuations des images que produit Valérie Jouve. Elle fige dans la course du monde les lignes émergeant de son regard oblique sur des espaces qui sont montrés dans leur violente crudité comme dans la possibilité d’en user à la manière d’outils de résistance. C’est cette double tension qui anime ce dialogue continu qu’est le travail de Jouve ; la conscience permanente d’une redistribution inique de l’espace social et la confiance en ceux qui l’habitent pour la rééquilibrer.
À l’image du très beau film réalisé par l’artiste, Porte d’Aubervilliers, 2020, suivant la déambulation d’une danseuse dans les espaces en transition de ce quartier, troublant voyage autour d’un territoire en suspension, aussi sauvage qu’impacté par les appétits financiers de promoteurs immobiliers, déjà totalement remodelé par des années de chantier destinés à mieux le desservir mais toujours marqué par son identité « périphérique ». Ouvert et fermé là encore, à l’image du terme qui l’identifie, la porte.
« Valérie Jouve — Du temps, un souffle », Galerie Xippas du 2 mars au 20 avril. En savoir plus Deux versants d’une sensibilité à fleur de peau dont l’engagement se nourrit de l’accident, de la rencontre, de ce qui résiste et s’impose comme un hiatus dans le paysage monde ; matière cependant à créer du « beau », à faire de ce qui ne se regarde pas le décor d’une image désirable, manière enfin de glisser le spectateur jusqu’à l’intérieur du regard des autres, partageant pour quelques instants avec des sujets, anonymes ou identifiés, le même spectacle d’horizon. A défaut alors de compter sur un grand soir, c’est bien dans la tranquillité du plein jour, dans ces espaces nimbés de lumière, que se jouent les vraies rencontres.Point d’étape dans une carrière riche de projets que les échanges, discussions et points de vue n’ont cessé d’alimenter, l’exposition dissémine les influences et inflexions de l’artiste avec la discrétion du trésor personnel. Par humilité sans doute, décence peut-être mais surtout par intelligence d’une démarche qui ne s’appesantit jamais de moralisme, Valérie Jouve concentre l’essentiel de sa subjectivité dans le geste et fait de l’angle, de la pointe du cadre qu’elle découpe dans le réel, les lames contondantes de son engagement. Pour elle, plus que jamais, sensibilité et émotion permettent de réconcilier politique et poétique et de résister à une pathologie sociale en expansion.
Rien ne se repose ici, la tranquillité des pierres, le silence froid d’architectures contemporaines visant à scinder les fonctions sociales (travailleurs, résidants, clients, vagabonds) résonnent de l’urgence des questions qu’active leur exposition en vis-à-vis. Jouve joue sur les sens, les symboles et les métaphores en rapprochant des images mais prend toujours soin de laisser l’interprétation ouverte. Ainsi la question brulante des habitants de la Palestine, que l’artiste connaît bien, prise dans le tourbillon de massacres insupportables, ne peut manquer d’émerger dans cette problématique d’un monde, le leur, où il n’est plus question d’abri. C’est dans ce rapport à la concrétude sensible de terres, matériaux, climats que l’on peut presque « toucher », par les jeux de contraste qu’elle met en scène, ce réalisme de l’artiste, un réalisme politique qui déjoue, lui, le dogmatisme en glissant vers une forme poétique.
Au spectateur d’y entrevoir l’étrange familiarité de la lutte, de l’harmonie et de la persistance et, dans cette zone d’indécision où tout cohabite, la manière dont le corps de l’humanité reconfigure ce monde pour s’y abriter ou s’en défendre.