Io Burgard — Cac La Traverse, Alfortville
Le Cac La Traverse d’Alfortville accueille une exposition réjouissante de l’artiste Io Burgard (1987), dont l’œuvre, sculpté et dessiné semble parcouru par une multitude de dynamiques qui, plus que suggérer leur possible mouvement, témoignent d’un imaginaire de la métamorphose où le produit ne clôt jamais le geste, où la ligne n’est jamais une limite.
« Io Burgard — La proie pour l’ombre », CAC La Traverse, Centre d'art contemporain d'Alfortville du 7 février au 30 mars. En savoir plus Saisissant par sa richesse visuelle et son apparente sobriété, l’univers de plâtre et de toile aux multiples blancs et aux jeux de transparence de Io Burgard dissémine à grande échelle les réserves de pages blanches que son esprit ne cesse d’habiter. Avec une dextérité et une agilité caractéristiques, elle enserre dans des installations aux techniques diverses des instantanés dont les traces coulent encore sur les cimaises. La souplesse de ses médiums reflète la fluidité de ses motifs ; les êtres s’entent dans ce décor comme autant de prolongements d’une matière organique qui les relie.La ligne joue chez elle l’agent de la forme, emmenant dans son épaisseur le volume de matière nécessaire à sa sortie du cadre. Car avec Io Burgard, le support est toujours surmené, travaillé de l’intérieur par des motifs, des matériaux qui le débordent. La surface de travail tente d’enserrer son contenu et le prolonge de manière organique. Ses motifs caractéristiques entre forme humaine et géométrie expérimentale, aux allures légères mais non moins contondantes, dessinent un bestiaire intrigant et les sutures entre matériaux font écho aux lignes appuyées de ses dessins.
Les codes se renversent, à l’image du titre du parcours, issu d’une morale toute traditionnelle enjoignant à ne jamais lâcher sa « proie pour l’ombre » illusoire qu’elle renvoie. Ici au contraire, Io Burgard nous invite à plonger à sa poursuite, à sauter dans l’imaginaire pour y découvrir des trésors où la fantaisie, l’invention et l’illusion pourraient bien nourrir plus encore nos besoins que la quête d’une proie. Un jeu sur le rationnel qui permet de dépasser le savoir pour le manipuler à sa guise et le faire trembler, le renverser comme on fait chuter le sphinx dans le jeu vidéo qu’elle présente comme on y plonge également dans un monde plastique tourné vers une mise en commun de l’imaginaire.
Empruntant à Vladimir Vernadski et Teilhard de Chardin le très discutable concept de « noosphère », cette nappe formée d’idées et de pensées qui flotterait autour de la terre, reliée au cerveau de chaque être, s’en nourrissant comme le nourrissant, Io Burgard se risque à la rencontre avec une pensée spéculative dangereusement simpliste car essentialisant les plans du vivant. Néanmoins, l’artiste parvient à en tirer la substance poétique et en faire fructifier la force métaphorique en jetant ses formes dans le réel, laissant une part d’indéfinition qui maintient un mouvement et permet, par définition, à chacun de cheminer à leurs côtés.
Rien d’étonnant alors à ce que la quasi-totalité des œuvres présentées résulte de collaborations ; engageant l’imaginaire de jeunes élèves en situation de handicap, le savoir-faire de verrier, les méthodes traditionnelles de modelage du bois. Libres et non autoritaires, ses créations embrassent un champ plastique où la figuration, l’abstraction, l’emprunt et la référence se conjuguent pour formaliser de véritables scènes où décors et personnages s’emmêlent.
De ces assemblages, combinaisons et rencontres de matériaux naît alors une fête des sens contagieuse et un bonheur des formes que rend avec talent cette exposition au CAC La Traverse. Ça coule et ça déroule, ça défoule et ça joue continuellement. Car au-delà de son ouverture et de sa bienveillance, l’art de Io Burgard invente, dans ce paradoxe plastique d’un mouvement enserré par sa matière, une grammaire des formes enlevée qui, si elle est pétrie de références, trouve une singularité esthétique qui marque et parvient à articuler souplesse et imposante présence. Invariablement, ses formes fonctionnent et nous emmènent à leur suite au sein d’un imaginaire généreux qui fait résonner chaque lieu qu’elle investit comme le noyau physiologique d’une création qu’elle y dresse à posteriori.
Cette pensée empirique et organique participe ainsi d’une puissance magnétique de l’évidence, celle qui permet de prolonger la ligne de ses deux dimensions primaires vers une troisième qui nous réunit.