Richard Serra — Galerie Lelong & Co., Paris
L’artiste majeur Richard Serra s’est éteint à l’âge de 85 ans. Lui qui a érigé la sculpture au rang d’événement et a marqué autant d’éditions de la Documenta de Cassel que de la Biennale de Venise, qui a défié la gravité jusque sous la verrière du Grand Palais dans une édition inoubliable de Monumenta (2008), est à l’honneur d’une très belle exposition de gravures à la galerie Lelong & Co., empreintes de son esprit de conquête de la matière, noire et pleine de vie.
« Richard Serra — Casablanca », Galerie Lelong & Co du 14 mars au 30 avril. En savoir plus Spectaculaire et réjouissante, sa plongée dans le corps du noir résonne avec son travail sur la monumentalité et la pesanteur qui se conjuguent dans cet ensemble pictural intitulé_ Casablanca _avec une rare évidence. En parallèle de sa sculpture, l’artiste menait en effet depuis les années 1980 aux côtés de la galerie le développement d’un œuvre gravé qui prolongeait sa mise en crise des formes dans l’espace. Un mouvement contigu plus qu’une simple retranscription qui amplifie, s’il le fallait, sa réflexion sur la matière.Si l’on connaît son goût pour le noir, cette nouvelle exposition s’inscrit dans une radicalité qui en fait une expérience physique aux allures de corps à corps. Six feuilles de papier chargées jusqu’à leur point de saturation supportent des formes abstraites et se toisent sans laisser se découvrir l’origine véritable du motif, comme issues chacune d’un pan d’un organisme aux lignes régulières mais défiant constamment le parallélisme. Un même mystère que déjoue le titre même de la série ; nulle relecture ésotérique de la pesanteur propre à la lumière de la ville de Casablanca mais un hommage, simple et direct au film éponyme.
Des œuvres au noir donc mais loin de ne s’accorder qu’à l’obscurité. De près, difficile même d’échapper à la lumière qu’elles diffractent et l’hommage, inévitable au maître du noir Soulages passe par un même sens de vectorisation de la teinte, devenue support vivant de tonalités qui s’y fondent et s’y affrontent.
Un ensemble titanesque qui, au-delà de la prouesse technique, témoigne de la puissance du geste du sculpteur sur les formes de représentation. Déportée sur les cimaises, la masse se fait spectrale et engage à une réflexion in media res de la profondeur de la matière. Comme le rappel d’une histoire qui nous précède et nous prolonge, peut-être un avertissement ; tout art est matière et toute composition se surajoute au monde autant qu’elle en retranche le secondaire pour nous ramener au plus près d’une substantifique source ; une organique minéralité qui ne demande qu’à continuer de s’ériger.