Ashley Hans Scheirl — Galerie Loevenbruck, Paris
Ashley Hans Scheirl présente une nouvelle exposition à la galerie Loevenbruck qui dresse un pont entre passé et présent, confrontant une pièce de 2009 avec deux peintures récentes au milieu desquelles s’ébattent des installations invasives.
Ashley Hans Scheirl — Tranny’s Pleasures: Pain_things in a Crazy World @ Loevenbruck Gallery from October 22 to December 4, 2021. Learn more Peu d’œuvres mais un condensé qui éblouit son monde avec notamment une composition foudroyante d’ingéniosité, de maîtrise et de « perversion » qui n’est rien d’autre que le nom de la déconstruction par la mise en valeur de la différence. S’il semble, dans l’organisation de l’espace, dans la construction et la conception mêmes de la scénographie, se dégager une forme de modération inattendue dans l’œuvre à la générosité outrancière de Scheirl, la folle raison des organes, la litanie symphonique des renvois et la submersion des sens par la représentation dévoyée de la chair agissent ici en sous-texte et distillent leur force subversive dans un habile contrepoint lancé à l’histoire de l’art.Peinture, sculpture, collage et installation s’emmêlent ici dans un continuum indissociable où la noblesse des pigments broyés voisinent avec la découpe sur panneaux, où l’agglomérat plastique d’un étron monumental qui, caché à l’entrée de l’exposition, se fait presque centre de gravité une fois les premiers mètres franchis.
Ce jeu de contrepoint s’élabore jusque dans la peinture même. À travers le classicisme du médium, derrière la couche de vernis glaçant les coulures et débordements, il est toujours question de perversion, à l’image du nom qu’a adopté l’artiste et son groupe « Proud Perverts » qui essaime au début des années 1990 une création mêlant codes queer, sexualité libre et création outrancière, piochant dans le cinéma de genre, l’illustration régressive et le plaisir de l’échange. Mais plus qu’ailleurs, le champ de bataille mis en place dans sa création a vocation à inventer plus qu’à annuler.
Ici on se décharge, on envoie et on renvoie le plus simplement du monde des liquides et solides qui dessinent des paraboles elliptiques que la terre ne manque pas de rappeler. Comme autant de dépôts maintenus par des forces centrifuges tenant lieu de centres de gravité auxquels laisser s’arrimer notre attention, les œuvres d’Ashley Hans Scheirl s’étendent et se prolongent hors de leur support. Échos bruissant sur des modes variés, ils font de l’exposition un réseau de signes qui ne cessent de s’animer et surtout de se répondre. Les supports ont beau être fixes, les formes semblent en expansion, laissant croître les volumes et les formes plastiques, jamais définitivement prisonnières de leur représentation.
Dans un monde où la conscience ne s’émeut plus des représentations les plus crues et les plus radicales, les embardées d’Ashley Hans Scheirl dans le lexique visuel de la maîtrise des corps, dans le triomphe exutoire et exhibitionniste du capitalisme n’appellent pas à la sidération ; elles dressent un décorum objectif dans son délire, chirurgical dans sa manière d’en écarter la chair. Une réalité qui, détournant le code de l’espace neutre d’exposition accueillant sagement ses œuvres mises à « disposition », devient zone qui nous confronte au reflet jouissif et grotesque d’une vision du monde qui révèle la valeur d’exposition de notre propre corps.
Faisant de chaque visiteur un « objet » de l’exposition sans pour autant réduire sa présentation à quelques pièces d’intérêt purement fonctionnel, Ashley Hans Scheirl fait du parcours l’occasion d’une véritable rencontre et nous place face à ces flux, organiques ou économiques, au sein de celui-ci, nos corps, nos silhouettes, nos choix vestimentaires sont projetés comme acteurs d’une réalité déconstruite.
Sidérant et jouissif, alliant l’organique à l’organisation d’une composition d’une précision terrible, cette formidable présentation à la galerie Loevenbruck. Une manière unique de prendre à rebours la peinture, de jouer de ses débours, de renverser ses focales et ses formes pour introduire un mouvement terriblement beau, à la solennité narquoise, digne d’une cérémonie d’impurificarion.