Claire Tabouret — Le Grand Palais
L’exposition Claire Tabouret, D’un seul souffle, présentée au Grand Palais du 10 décembre au 15 mars 2026, offre une contreplongée dans le projet de l’artiste pour la recréation d’une partie des vitraux de l’église Notre-Dame de Paris. Face aux exigences d’une telle commande, que reste-t-il de la force d’une artiste que l’audace et la capacité à embrasser des thèmes puissants, en réinventant son regard, ont toujours caractérisée ?
La retenue et l’absence presque programmatique de prise de risque de ces tableaux, à l’image de leurs sujets, ne manque pas de surprendre. Dans cette succession, l’invention semble muselée ; l’œuvre, baignée d’un imaginaire mystique qui se répète sans surprise, paraît avoir arasé les légendes précédant cette formalisation d’une fête par l’Église, pourtant nombreuses et qui auraient pu infuser et faire dérailler cette imagerie fantasmatique de l’universalisme d’une institution qui continue chaque jour de le bafouer. Il est aisé d’imaginer que la portée politique du projet et l’emprise des autorités s’adjugeant la place de critiques ont bridé toute prétention véritablement artistique. Il n’en reste pas moins déchirant de constater cet impact quand il frappe une artiste de son calibre, capable d’une invention et d’une remise en question si profondes dans son travail habituel.
Quant à la scénographie de l’exposition, elle frôle une fois encore l’irrespect dans cet espace du Grand Palais, décidément loin d’être prêt pour sa réouverture, il y a un an maintenant. Une succession sans âme et sans idée des compositions y jette l’œuvre en pâture au public, ramassée d’un côté de l’espace avec la régularité triste d’un matin de messe. Compte tenu des enjeux et de la curiosité d’une audience bien décidée à questionner le choix de l’artiste, cette présentation en bloc, dénuée de tout accompagnement réflexif et problématisé, manque cruellement d’ambition.
Ayant pour thème la Pentecôte, Claire Tabouret choisit l’harmonie comme fil conducteur pour une variation autour de l’unité dans la diversité. Composé de six baies dédiées chacune à une figure sanctifiée par l’Église, l’ensemble alterne les sujets (scènes de communions, procession de masse, paysage naturel) en répondant chaque fois à une citation. En écho à cet épisode fondateur, l’artiste cherche effectivement à faire sentir la portée “extérieure” de la Pentecôte, cette découverte mythologique, par les sens, de la nature divine “redescendue” parmi les hommes.
Et l’on perçoit, en effet, dans la suspension des regards, dans l’effacement quasi total de la singularité du corps, une forme de magnétisme issu du hors-champ, du divin. C’est certainement dans ce retrait de l’humain, dans cette destruction éthérée de la singularité des êtres, que l’artiste répond le mieux à la pensée catholique de l’épisode, réduisant l’individu à un simple serviteur, premier passeur du spectacle de sa finitude. Et porteur d’une faute originelle qui permettra à l’institution de s’ériger en porte-voix d’une moralité définissant les normes de son corps, l’inégalité selon elle de ses genres et l’humanité même de sa sexualité.
Un corset qu’il appartient à chacun d’apprécier mais dont l’œuvre de l’artiste ne fait que légèrement dévier. Si l’ensemble maintient une cohérence chromatique et formelle, certaines singularités affleurent : un regard plus insistant, un détail qui ajuste la focale et laisse saillir une étrangeté qui brise l’unité. À l’image de ce visage féminin qui éclate d’un déséquilibre interne sans parvenir à convaincre totalement. Des points d’intérêt donc, mais loin d’être assez nombreux et virant, eux aussi, au pathos de leur contexte. On pourra regretter surtout que l’étude qui fait face aux baies — et qui assume jusqu’au délitement cette dissolution de l’identité — n’ait pas trouvé une place plus organique au sein même de cet ensemble, amplifiant le propos par un geste fort.
Malgré les contraintes palpables, certains traits nous rappellent quelle grande peintre est Claire Tabouret, capable, par une différence subtile de traitement des contrastes voisins (à l’image notamment de deux visages féminins), de produire un hiatus visuel qui inonde l’entour d’une lumière impossible et confère à ses regards le vertige d’une profondeur infinie. Le sacrifice aux exigences institutionnelles, s’il a bridé l’audace, n’aura peut-être pas été vain s’il permet de dénicher ces éclairs qui prouvent que l’art, même soumis, conserve ses droits.
Médiatrice d’une contrainte institutionnelle qui dépasse notre présent, Claire Tabouret parvient ainsi, même difficilement, à faire bruisser les murmures de sa singularité. Et construit par là une œuvre qui, en fuyant la frontalité, du regard comme de ses sujets, s’articule et se concrétise avec la transparence promise à son support.