Hélène Delprat — La maison rouge
La maison rouge présente jusqu’au 17 septembre une exposition personnelle d’Hélène Delprat, artiste française née en 1957 qui se joue des frontières de la création, de la vie et de la représentation.
« Hélène Delprat — I did it My Way », Divers lieux du 23 juin au 17 septembre 2017. En savoir plus Un corridor sombre parsemé de poignées de portes vissées au mur, un jeu de tubes luminescents qui semble nous inviter plus avant vers une double porte aux fenêtres aveugles; entre passage morbide d’une administration obscure et entrée en boîte de nuit, l’entrée du visiteur dans l’exposition impose d’emblée la belle ambiguïté de l’œuvre d’Hélène Delprat. Véritable mise en scène, le dispositif imaginé par l’artiste prend immédiatement le contre-pied de la rétrospective traditionnelle que pouvait laisser entrevoir le titre de l’exposition, I Did It My Way. Hélène Delprat sait user de sa liberté pour imposer sa singularité et, tout comme au long de sa carrière, fait de cette présentation personnelle une expérience à nulle autre pareille. Elle installe dans la maison rouge un parc d’attractions fou et inspiré.Car de l’autre côté, la lumière se fait sur une multitude d’œuvres qui alternent les supports et les expériences. Centrée sur la seconde partie de sa vie artistique, l’exposition témoigne de cette nouvelle impulsion que Delprat lui donne dans les années 90 en quittant la rive de la seule peinture pour explorer d’autres champs de la création, se concentrant notamment sur la vidéo, la radio ou le théâtre en y laissant s’exprimer les domaines littéraires, cinématographiques ou théoriques qui l’ont toujours influencée. Une liberté à l’œuvre qu’elle met en scène et dont l’épreuve se révèle dans la profusion des pièces présentées ici. L’artiste glisse de l’intimité d’un imaginaire foisonnant, dans sa peinture, à la représentation de soi à travers la performance, le documentaire et même la sculpture avec une installation où l’artiste, représentée à échelle humaine, nous accueille à l’entrée, sagement assise sur un tabouret, face à une caméra, prête à passer l’épreuve de l’interrogatoire.
Avec une simplicité et une clarté exemplaires, Delprat aborde le vertige des questions du réel et de la création, de l’invention et du faux-semblant : « J’ai conscience, dit-elle, d’indiquer plein de degrés de mensonges ». Mais s’agit-il même, face caméra, d’un « vrai » entretien ? Capturant intentionnellement le faux, elle crée dans ses œuvres un « autre » faux qui, par la double négative, parvient à toucher un fragment de réel qui affecte et émeut, à l’image de son activité d’écriture régulière, alimentant un blog qui dévoile son quotidien, ses rêves et ses plaisirs comme ses indignations qui transparaissent ici avec la force simple et belle d’une vie inspirée. Mais d’intime il n’est pas seulement question. En se livrant ainsi, Delprat réactive ce piège de l’apparat, du jeu trouble d’un miroir qui, s’il reflète les images, ne les maintient pas moins en suspension, intouchables et inaccessibles. Une distance aux allures de code de bienséance qui se retrouve dans la récurrence, dans sa peinture, des motifs de la faste courtisane.
Paillettes, fêtes et miroirs participent en effet d’un vocabulaire qui enrichit de formidables tableaux débordant de détails, sourires et yeux effrayés inscrits au cœur d’une narration explosive et fragmentée, faite des codes du spectacle et du paraître. Courtisans et chimères partagent la trame d’histoires folles où les temps, espaces et événements se diluent à la surface d’un monde aqueux qui sert de décorum à leurs activités. C’est la rencontre fracassante de joie, d’onirisme et de bizarrerie qui fait de ces toiles de véritables jardins des sentiments mêlés. Partout ici, la fête laisse irrémédiablement poindre un vague sentiment d’inquiétude. Les personnages, humains, monstres ou chimères ont beau sourire, leur présence dans ce déchaînement de couleurs, dans ces formes indéfinissables, semble menacée par le mouvement même des plans qu’ils hantent plus qu’ils n’habitent. Dans cet univers inquiétant où les codes spatio-temporels sont inversés, la question du genre apparaît bien vite, parmi tant d’autres, laissant planer une lancinante ambiguïté que scande la voix rauque, aussi blasée qu’enjouée, de Sylvie Vartan dans la répétition de sa chanson Comme un garçon, diffusée en boucle dans l’espace d’exposition. Mais bien entendu, cet univers riche et foisonnant a bien plus à offrir qu’une simple transgression des attendus sociaux d’une société aux codes normés. Du plaisir même de la fête naît l’angoisse et chaque jouissance porte en elle les conditions de sa disparition et la possibilité tragique de sa fuite ou, à tout le moins, de notre impossibilité à la retrouver.
I Did It My Way offre au final un parcours réjouissant et salutaire qui réussit à capturer la belle ambivalence de l’œuvre d’Hélène Delprat, plein de fantaisie et de subversion. Car derrière les paillettes, strass et miroirs, les festivités ne cachent pas leur part d’obscurité et, sans tomber dans le piège de la critique de l’artifice, l’artiste embrasse cette part d’ambivalence pour inventer un univers riche de sentiments mêlés qui parviennent, dans leur ambiguïté même, à profondément toucher les nôtres.
Hélène Delprat obtient en juin 2023 le Grand Prix de la Fondation Simone et Cino Del Duca