
Huma Bhabha — Galerie David Zwirner, Paris
Ample, habitée, érudite, viscérale et pleine d’humour autant que de gravité, l’exposition Distant Star de Huma Bhabha à la galerie Zwirner coche toutes les cases de l’installation totale réussie. Conçue comme une mise en scène archaïque et futuriste, l’exposition déploie six sculptures et une série de dessins monumentaux, dans lesquels l’artiste pakistano-américaine explore de nouveaux matériaux, tels que la fonte et l’argile humide, tout en poursuivant son travail de distorsion formelle, propre à son vocabulaire plastique depuis plusieurs décennies.
Érigeant aux abords de sculptures humanoïdes des portraits au regard torve — composés d’encres et de collages apposés sur des photographies personnelles — dont les yeux seuls, cerclés de noir, percent l’indistinction des visages encapuchonnés, Bhabha propose des figures hybrides : saints, moines franciscains, avatars contemporains vêtus de hoodies. On ne sait s’ils sont des martyrs portés au souvenir ou des vigies assurant leur propre sécurité. Leur présence ambivalente hante l’espace d’exposition, tissant un fil ténu entre iconographie religieuse, imaginaire post-apocalyptique et figures de la résilience.
En formalisant une synthèse entre arts premiers et science-fiction, entre totem et tabou (difficile de ne pas voir l’ombre de HR Giger planer ici), entre puissance conceptuelle et intensité essentielle du geste, l’ensemble offre une cohérence indéniable. L’œuvre Distant Star (2025), qui donne son titre à l’exposition, incarne cette tension : sculpture monumentale en fonte, elle semble figée dans une attente éternelle, marquée par l’oxydation qui la travaille déjà. Elle rappelle que pour Bhabha, l’un des outils principaux du sculpteur est le temps — non seulement comme agent physique de transformation, mais aussi comme champ de projection mentale. La pièce fonctionne tel un phare immobile, irradiant une solennité presque paralysante.
Cette cohérence, aussi impressionnante soit-elle, pourra néanmoins laisser, chez certains, une légère déception. Comme parfaitement contrôlée, toute aspérité semble avoir été absorbée dans une architecture suffisamment pensée pour échapper à sa propre fragilité ; un contrepoint étonnant à la nature pourtant assez nouvelle de cette confrontation de techniques pour l’artiste.
Trop juste, trop bien calibré, déjouant toute potentielle critique par une superposition impressionnante de couches de signes et de sens (du crâne animal au polystyrène, de la mythologie personnelle à l’archéologie universelle), ce nouvel ensemble d’une artiste qui n’a, quoiqu’il en soit, plus rien à prouver, reste imperméable à tout jugement de valeur. Il peine ici à mener sur un véritable chemin, même fragile, qu’il nous appartiendrait d’adopter. Le regardeur, convoqué, n’est jamais vraiment mis en déséquilibre.
Cette exposition parisienne — la première personnelle de l’artiste dans la capitale depuis 2009 — arrive dans un moment de reconnaissance internationale pour Bhabha amplement mérité et qui révèle, notamment dans l’exposition Encounters: Giacometti au Barbican Centre de Londres en cours, la force exceptionnelle de son travail lorsqu’il est confronté à d’autres aspérités, lorsque l’on peut littéralement lire sa manière de mutiler autant que de greffer la figure humaine pour la penser dans une infinie pluralité, étrangère à elle-même.
La justesse de l’ensemble, son évidence plastique jouant de l’attraction et de la répulsion, son intelligence post-historique (on se figurerait presque être au cœur d’une section de l’exposition principale d’une Biennale de Venise des années 2000) masquent in fine la part expérimentale et un engagement qui auraient provoqué le déséquilibre idéal. Et surtout nécessaire pour tomber définitivement sous le charme de ces êtres distants, et les intégrer à notre tour à notre imaginaire.
Huma Bhabha, Distant Star — Galerie David Zwirner, 108, rue Vieille du Temple, 75003 Paris — 13 juin — 16 juillet, 2025 En savoir plus