Noémie Goudal — Entretien
À l’occasion de son exposition personnelle à la galerie Les filles du calvaire du 27 octobre au 2 décembre, Noémie Goudal revient avec nous sur sa démarche et évoque sa nouvelle série destinée à voyager. Autour d’une sculpture monumentale s’élevant sur une dizaine de mètres, l’exposition Telluris dévoile les images de cette artiste qui nous place face à des mondes suspendus qui défient les lois de la pesanteur et brouillent les frontières de notre réalité dans un jeu subtil entre artificiel et naturel. Interview.
Matthieu Jacquet : Quel est le point de départ de votre nouveau projet Telluris ?
« Noémie Goudal — Telluris », Galerie Les filles du calvaire du 27 octobre au 2 décembre 2017. En savoir plus Noémie Goudal : Il s’agit d’un projet qui s’inspire de théories historiques consacrées à la formation des montagnes. Pour cela, j’ai regardé du côté de l’histoire des sciences pour comprendre au fil des siècles comment les montagnes ont été perçues et interprétées. Un courant du XVIIe siècle m’intéressait particulièrement, qui concevait la nature à travers des propositions géométriques et mathématiques. À partir de là, j’ai construit environ 25 cubes en bois : l’idée était de reconstruire une sorte de montagne, de formation rocheuse avec des éboulements. Je souhaitais voir toutes les combinaisons possibles avec ces cubes, les mouvements et les reliefs qui pouvaient se créer. Ce projet est aussi inspiré du livre Le Mont Analogue, écrit dans les années 1940 par René Daumal, qui traite d’une sorte de recherche philosophique sur la montagne, et comment les montagnes sacrées ont toutes disparu lorsqu’elles sont devenues accessibles. Ce livre interroge la possibilité de retrouver ces montagnes sacrées en suivant l’histoire d’un groupe de chercheurs qui partent en quête du mont Analogue, un mont qui serait sacré pour toutes les religions et toutes les croyances. Ici, ce qui m’intéressait était la dimension plus spirituelle selon laquelle la montagne serait à l’intérieur de chacun d’entre nous, de notre propre construction mentale. C’est justement ce que j’explore dans tout mon travail : la relation entre un paysage construit, mental et un paysage géographique réel.M.J : Votre exposition personnelle à la galerie Les filles du calvaire rassemble plusieurs projets, dont les Southern Light Stations réalisées entre 2015 et 2016 que vous avez déjà présentées à plusieurs reprises, ainsi que ces œuvres inédites de Telluris. Quel fil rouge relie ces projets ?
N.G. : Southern Light Stations est une série également inspirée de recherches historiques, non pas ici sur les montagnes mais sur l’observation céleste et la manière dont on a pu regarder le ciel à travers les siècles. Je me suis intéressée à une période particulière de l’histoire de l’astronomie : depuis l’Antiquité où l’on pense que le ciel est complètement clos, fini jusqu’au moment où l’on se rend compte qu’il est beaucoup plus grand qu’on ne le pensait et que ce ciel, qu’on pensait fixe, était en mouvement. Tous ces changements représentent des moments très importants dans l’histoire de l’astronomie, mais aussi dans l’histoire de l’humain et de la perception. La découverte de Copernic à la fin du XVIe siècle, selon laquelle ce n’est pas la Terre qui est au centre de l’univers mais le soleil, remet la Terre à la place d’une planète comme les autres : à partir de ce moment-là, on commence à étudier sa formation, ses reliefs et montagnes. Ainsi, d’un point de vue historique, la série Telluris suit Southern Light Stations de manière assez logique et naturelle.
M.J. : Vous présentez également, dans l’exposition, une sculpture monumentale des éléments qui constituent les structures présentes dans les photographies de Telluris. Quelle rôle joue-t-elle face aux images ?
N.G. : En réalisant ces photographies, je me suis rendu compte à quel point la sculpture elle-même était importante. Elle se distingue complètement de mes images, qui représentent une sorte d’étude archéologique. Installer la sculpture en tant que telle dans la galerie crée une interaction différente avec le corps, ce qui est presque plus fort quand on est dans l’espace de l’exposition. De même, je présente dans la vitrine, le second espace de la galerie, une œuvre en volume intitulée Study on perspective, assez différente des autres. Elle aborde la perception d’une image avec toutes ses strates possibles. Il s’agit véritablement pour moi d’une étude, car avant de la réaliser j’ai eu du mal à voir comment elle rendrait une fois en situation. L’idée est de décomposer une image en quatre panneaux, quatre strates transparentes : lorsque l’on se met devant, on a l’impression d’être face à une sorte de théâtre d’enfants.
M.J. : Les Mécaniques, votre projet présenté notamment au secteur Prismes de Paris Photo 2016, représentait une jungle dans une atmosphère assez sauvage et vivante. Dans vos nouvelles œuvres, vous semblez revenir à une certaine rigidité dans la construction de l’espace, cette direction provient-elle d’un choix esthétique ou est-elle empreinte de symboles, comme l’action de l’homme sur l’espace naturel ?
N.G. : Les Mécaniques est en fait un travail à part, qui est encore en cours. Dans mes séries, plusieurs thèmes sont récurrents. La plupart de mes dernières installations sont en mouvement, j’y déconstruis les éléments afin de voir le paysage comme une entité en évolution constante. Auparavant, toutes mes installations étaient fixes. Ce qui m’intéressait dans la jungle c’était justement cette animation permanente, cette idée de cycle que l’on retrouve dans la nature. C’est cela que je voulais présenter à travers ces miroirs : une nature qui bouge tout le temps. De plus, le miroir est pour moi une métaphore de l’œil et de la ré-interprétation humaine du paysage.
M.J. : Les Southern Light Stations comptent parmi les œuvres qui ont pour vous été les plus compliquées à réaliser d’un point de vue pratique. Les œuvres de votre nouveau projet Telluris vous ont-elles apporté de nouvelles difficultés ?
N.G. : Dans mes projets, ce qui primait avant tout, c’était la photographie que je prenais. Même si le panneau était plat, c’était la composition de l’image qui m’intéressait. Pour les Southern Light Stations, la construction et les moyens engagés étaient effectivement assez impressionnant, nous avons dû installer des échafaudages pour réaliser les images. J’ai envisagé Telluris de façon assez similaire aux précédents travaux : j’ai beaucoup travaillé dans l’atelier en amont pour composer les structures, un travail préparatoire sur plusieurs mois qui m’a permis aussi quelque part de pré-composer les images.
M.J. : Face à la surabondance d’images dont il est souvent difficile de discerner l’authenticité, notamment à cause de l’utilisation massive des logiciels de traitement numérique, en quoi est-ce important pour vous de photographier vos installations in situ et non de les réaliser exclusivement en post-production ?
N.G. : Toute une partie de mon travail se joue entre le public et la photographie. Si mes photographies étaient réalisées par montage numérique, je pense que cette interaction ne se passerait pas. Il y a une complicité qui provient du fait que je montre la construction, ce qui contribue à rendre chacun d’entre nous plus impliqué lorsque l’on observe l’image. On a l’impression de savoir comment cela s’est construit, de faire partie de cette aventure. Ce rapport d’authenticité permet donc d’immerger davantage le spectateur.
M.J. : Après sa présentation à la galerie Les filles du calvaire, Telluris sera présenté en 2018 à la galerie Edel Assanti à Londres, puis au Musée de Photographie d’Helsinki et au Fotografiska de Stockholm. Investir des espaces nouveaux pour exposer votre travail enrichit-il vos projets ?
N.G. : Bien sûr. D’ailleurs, le musée d’Helsinki est immense et très impressionnant, les plafonds y sont très hauts et je pense que, pour cette exposition, je vais devoir revoir mon travail. À chaque fois, cela me plaît de réfléchir à de nouvelles scénographies, de réutiliser mes images d’une autre manière, d’essayer de voir comment je peux faire en sorte que l’accrochage s’adapte vraiment au lieu. Je n’ai pas encore tout à fait le plan de ce que je vais présenter, mais ce qui est sûr est que je souhaite faire voyager ma sculpture en cubes dans différents pays, notamment dans des espaces ouverts sur l’extérieur. Elle va d’abord être installée à Amsterdam, puis à la Richard Neutra VDL Research House de Los Angeles et potentiellement dans les rues d’Helsinki.