Édito Quarante-trois
Une rentrée parisienne qui, loin de se borner à convoquer les grandes figures attendues du monde del’art, opère un travail de fond comme le reflet d’une saison qui s’annonce plus grave, pétrie de thématiques en écho aux inquiétudes et déchirements d’une époque où la parole, si elle se libère pour le meilleur, s’émancipe également des autorités naturelles renversées pour offrir des tribunes à des discours que l’Europe avait tôt fait d’oublier.
Ancrée dans ce paradoxe d’une profusion des discours qui fourbit ses armes aux opinions les plus manichéennes, l’art, plus que jamais, doit opposer aux « débats » et « punchlines » dévastatrices la « multitude » et la « complexité » des réflexions individuelles pour dessiner la cartographie d’une pensée plurielle irréductible à un point de vue. La multiplication des perspectives et l’invention d’idées nouvelles contre l’addition des jugements et insinuations paraît toujours aussi urgente, à mesure que la fin des idéologies émancipatrices laisse le champ libre aux idéologues cyniques jouisseurs de la haine de l’autre, voire de tous les autres.
À ce titre, l’art contemporain, dans sa transformation, dans son immixtion dans des champs toujours plus divers et sa capacité à se libérer des « formes » qui le définissent s’affirme chaque jour comme un objet et un incubateur de pensée qui nous dépasse. Un art qui, derrière les critiques globalisantes qu’il suscite, doit se servir précisément des doutes légitimes qu’il nourrit (appropriation par les grandes marques, accointance avec les pouvoirs, répétition obsolète de discours d’un autre temps, auto-glorification de figures majeures) pour enter la société qu’il habite. En bouleversant nos regards, en interrogeant nos consciences et nos attendus, la création seule peut faire dérailler les rapports de force du quotidien et donner à chacun la possibilité de se saisir des vibrations du monde pour mieux s’y mouvoir, pour épanouir des différences qui s’animent et nous meuvent.