
Robert Cottingham — Galerie G.P. & N. Vallois
Luisantes, vibrantes, presque affriolantes, les machines peintes de Robert Cottingham exposées à la galerie G.P. & N. Vallois retournent le prisme du désir en faisant de l’outil un objet de fascination pleinement assumée.
Par la seule magie de la peinture, ces instruments techniques — caméras, machines à écrire, composants industriels — se chargent d’une sensualité énigmatique, où les reflets et les volumes traduisent une métamorphose essentielle de l’imaginaire humain entamée au tournant du XXe siècle. Cottingham, maître du réalisme américain, ne se contente pas d’imiter le réel : il le sublime, l’isole, le décontextualise pour en révéler la charge symbolique.
À travers l’exposition Caméras, Typewriters & Components, regroupant principalement des œuvres réalisées entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, l’artiste explore une mémoire technologique déjà teintée de nostalgie. En se concentrant sur des objets emblématiques des années 1950, il revisite les icônes de sa propre jeunesse — Cottingham est né en 1935 — mais aussi les fondements d’une culture moderne où la typographie, l’image et le langage furent les outils de structuration du réel.
Il y a, dans cette entreprise de reproduction méticuleuse, une volonté de possession symbolique. Loin d’un simple fétichisme de l’objet, c’est une tentative de fixer un désir : celui de s’approprier ce qui fut, de capturer la chose non par la main, mais par le regard. Difficile de ne pas penser ici à Walter Benjamin, qui voyait dans l’œuvre d’art une « aura » perdue par sa reproduction mécanique ; Cottingham, à rebours, redonne à ces objets une vibration nouvelle, précisément par leur transposition dans le champ pictural.
La scénographie de l’exposition accentue cette tension : explosive, presque frontale, elle crée un face-à-face saisissant entre le spectateur et ces instruments désormais obsolètes, qui furent autrefois les véhicules des plus puissantes narrations du XXe siècle — photographie et texte imprimé. Cette mise en scène ironique, teintée d’une douce mélancolie, interroge notre rapport à la technique. Si la photographie constitue toujours un moment, un « avoir été », Cottingham en prolonge l’être en faisant dériver la réflexion vers tout ce qu’elle aurait pu être, et peut encore devenir sous le regard transfigurant de la peinture.
Ainsi, la peinture retrouve ici une centralité paradoxale : médium ancien pour objets modernes devenus anciens à leur tour, elle devient à la fois archive et projection. Dans la matérialité de ses couches, dans la lenteur de son exécution, elle condense une mémoire affective que le temps, loin de dissiper, aiguise et densifie.
Et c’est peut-être là, dans ce vertige qui nous prend face à la reproduction apparemment la plus fidèle du réel, que se joue l’essentiel : le besoin inextinguible de transcender l’image pour rejoindre ce qui en elle nous dépasse — le désir même de représenter.
Robert Cottingham, Cameras, Typewriters & Components, Galerie G.P. & N. Vallois, du 12.06 au 19.07, 36 rue de Seine, 75006 Paris En savoir plus