
Férocité à domicile — Fondation d’entreprise Pernod Ricard
Avec une thématique forte autour de la porosité entre amour maternel et emprise, l’exposition collective Férocité à domicile entretient une langueur doucereuse qui reflète, dans le minimalisme de la mise en scène, la complexité de son sujet.
Tournée vers l’intime, vers ce qui ne se dit pas car ne peut s’exprimer qu’autrement, la tonalité générale de l’exposition installe une pesanteur délibérément poisseuse, qui illustre autant l’oppression ressentie par l’enfant que la honte d’appliquer à ses proches les cadres normés d’une société ayant participé à la construction de ce personnage.
Avec des œuvres expansives ou, au contraire, intensément personnelles, Férocité à domicile nous plonge dans des intimités pleines de sens, touchantes par leur ambiguïté, et évite surtout l’écueil d’une complainte de l’enfant-roi. Débarrassées de tout jugement moral, les œuvres alternent totems, fétiches et images marquant la persistance d’une figure biologique et archétypale de la culture rarement pensée en ces termes — et surtout rarement discutée avec autant de perspectives.
On glisse ainsi du cadre rassurant du foyer vers une remarque qui réinjecte le monde dans sa bulle avec la vidéo de Harilay Rabenjamina ; on parcourt des espaces de transit avec les installations de Tolia Astakhishvili et Simon Kässig, qui évoquent un entre-deux inquiétant entre activité passée et immobilisme présent ; et l’on se voit confronté à l’incompréhension quotidienne d’êtres en décalage existentiel avec l’installation de Rosemarie Trockel.
On vogue et l’on s’échoue avec la très belle correspondance de la barque retournée de Rosa Joly qui obstrue et habille l’espace, réminiscence d’un spectre évadé dans une photographie du passé et la toile de Sebastian Wiegand et sa figure alanguie au creux d’un canapé, découpe radicale d’un intérieur secret.
On étouffe également avec Chantal Akerman sous la litanie de reproches indirects d’une mère empoignant la langue comme vecteur d’une souffrance contagieuse, et l’on touche à la révolte chez Cudelice Brazelton IV, dans l’opposition d’une pièce libre avec la pratique méthodique d’une mère dont le travail de la matière passe par un travail d’organisation et de conformité à un ordre extérieur.
Une exposition forte, donc, qui joue avec les confins de l’épuisement et du regret pour tendre un miroir acéré face à nos consciences encombrées d’enfants. Un miroir qui peut tout aussi bien perdre son tain et, quand il laisse entrevoir ce qui le précède, nous expose à la menace de reporter ce poids dans le rôle de parent, nous exhortant à remettre en cause notre place dans la cécité du quotidien.
Férocité à domicile — Fondation d’entreprise Pernod Ricard, jusqu’au 19 juillet En savoir plus