Samuel Levi Jones — Galerie Lelong & Co — Point de vue — Slash Paris

« Samuel Levi Jones — Let Us Grow », Galerie Lelong & Co du 18 mai au 13 juillet 2019. En savoir plus Pour sa première exposition à Paris, Samuel Levi Jones propose une série extrêmement cohérente, élaborée avec la complicité de sa galerie parisienne qui lui a fourni la matière première des œuvres qu’il présente. L’artiste se fait particulièrement remarquer en 2013 avec une série de portraits sous-exposés qui, en réponse aux 48 Portraits de Gerhard Richter (1972), dévoilaient dans l’obscurité que leur réservait l’histoire encyclopédique les visages d’Américains et Américaines noirs qui auraient pu figurer au sein des encyclopédies parues cette même année. Un premier mouvement qui accompagne sa remise en cause du fantasme d’exhaustivité des projets d’encyclopédie et la nécessaire part de hors-champ ouverte par cette récollection de savoirs.

Il s’empare alors de couvertures tissées d’encyclopédies pour, une fois cousues les unes aux autres, créer une toile aussi impénétrable qu’impressionnante, muette et pourtant pleine de symboles. Une réaction qui réactive la critique envers les ambitions d’un savoir autoritaire persuadé de pouvoir classer le monde selon une somme de catégories « objectives ». Un savoir analogue au positivisme du XIXe siècle que vinrent contester les penseurs et philosophes modernes du XXe siècle, incapable de prendre en compte la spécificité du regard que l’on porte sur son objet et de la nécessaire pluralité des perspectives qu’il exige. Un biais qui apparaît aujourd’hui comme ce qu’il a toujours été, un instrument de domination arasant les différences pour imposer un ordre des choses lisible et « convenant », quand bien même elle ne lui obéirait pas directement, à une certaine forme de domination.

Loin de la critique frontale qui manquerait son sujet, Samuel Levi Jones s’approprie donc des ouvrages qui ont fait « autorité » dans leur domaine (médecine, droit, histoire, etc.) et considérés aujourd’hui comme obsolètes pour en déconstruire la consistance, l’éprouver par la chair dans un acte qu’il qualifie lui-même de « cathartique » et broder de la sorte une nouvelle trame qui les assourdit.

L’artiste prend ainsi soin de reconstruire son objet-sujet, de panser cette histoire en l’amenant sur son propre terrain, plus visuel, pour en offrir une lecture sensible. Et il est certain qu’à l’image de l’exposition qu’il présente à la galerie Lelong & Co., Let Us Grow, du nom d’une des œuvres présentées, la transformation porte en elle une efficacité esthétique indéniable. Les matières et couleurs s’unissent en patchworks proches d’une abstraction du plus bel effet, les rapports de tons et de volumes articulent des compositions maîtrisées, unies par un travail de couture minimal qui dessine à la surface des veines saillantes renforçant encore la sensation organique du tissu.

Associant aux ouvrages qu’il utilise régulièrement des portfolios et reliures fournies par la galerie Lelong & Co. elle-même, Samuel Levi Jones enrichit son vocabulaire plastique en assumant la part esthétique de sa démarche et en généralisant son geste à l’objet livre. Pour autant, ses œuvres conservent, dans leurs titres, une force de contestation qui s’empare de ces reliquats pour tisser des associations qui font « images » et renvoient immanquablement à la valeur du drapeau, de la mise en public d’un symbole, d’un code brandi aux yeux du public.

Avec Let us Grow, la galerie Lelong & Co. propose ainsi une présentation prometteuse de la force plastique de Samuel Levi Jones, que l’on découvre en France, à travers un parcours aéré qui tranche avec le poids de son médium et l’amplitude de toiles dont le travail engage tout le corps de l’artiste.