Anna Gaskell, Douglas Gordon — Galerie Yvon Lambert
Il est écossais, elle est américaine. Trois ans les séparent. Tout les réunit. Anna Gaskell, l’Américaine, exposée partout dans le monde (De mémoire d’homme, en 2010 au Couvent des Récollets), Douglas Gordon, lauréat du Prix Turner en 1996 et récemment popularisé par son don au Musée d’art moderne de la ville de Paris (« Pretty much every film and video work from about 1992 until now »). Dans un dialogue sonore et visuel, les œuvres de ces presque quinquagénaires s’embrassent sans se toucher dans une grâce sans commune mesure.
Anna Gaskell, Douglas Gordon — Vampyr @ Yvon Lambert Gallery from September 6 to October 25, 2014. Learn more Pour la grâce, faire appel à la danse. Anna Gaskell s’y tiendra. La dernière pièce de la galerie plongée dans un quasi-noir complet tient lieu de « salle obscure ». À tel point qu’à la sortie les paupières s’agitent, les regards s’aveuglent. À même les murs, les films de Gaskell donnent à voir Svetlana Lunkina, première danseuse du Bolchoï. Le corps, comme suspendu par d’imperceptibles fils, s’envole, semble léviter, sans effort aucun. Le travail ayant gommé la douleur, la difficulté. Seules ballerines crissent, râpent le sol rappelant que la silhouette touche bien terre.Face à cette majestueuse chorégraphie, Gaskell propose d’introduire, dans une autre vidéo, un peu d’ironie. Il faut bien s’amuser et prendre de la hauteur face à ces expressions célestes et trop parfaites. Alors, elle met en scène deux femmes, l’une, étoile, l’autre, clown, sans doute son double. Si l’humour joue bien son rôle ici, il n’est pas là pour quelques veines moqueries. Ce double, qui ne sait visiblement pas danser, qui ne connaît pas les pas, imite celle qui sait. Face à face de l’ignorance et de la connaissance ou encore de l’image idéale et de son brouillon. La vidéo se regarde du début jusqu’à la fin, d’un souffle, car son spectacle dit beaucoup du pathos de la vie. L’humain dans l’effort a quelque chose de touchant.
Douglas Gordon, rôde autour, sa trace est partout. Il dispose de récentes œuvres, cadavres d’oiseau donnés au regard en jachère, loups féroces dont la gueule semble empêtrée dans le mur, dos à nous. De face, nous aurions eu un mouvement de recul. De face, cette expression de l’horreur aurait eu quelque chose de trop explicite. L’angoisse n’a pas de face, elle se dérobe, elle est diffuse.
Par ce cabinet de curiosité éclaté dans l’espace, Douglas Gordon, rappelle sans s’appesantir ce que la danse veut faire oublier. Inutile d’en préciser la nature. Qu’elle soit humaine ou animale, son ombre accompagne chacun de nos mouvements.