Françoise Pétrovitch — Musée de la vie romantique
Invitée par Gaëlle Rio, directrice du musée de la Vie romantique, l’artiste française expose une quarantaine de nouvelles œuvres. Dans cette maison-atelier, Françoise Pétrovitch ne se contente pas de montrer son travail mais établit les conditions d’une véritable rencontre avec le lieu et son histoire.
« Françoise Pétrovitch — Aimer. Rompre », Musée de la Vie Romantique du 5 avril au 10 septembre 2023. En savoir plus Ce n’est pas la première fois que le musée de la Vie romantique étend sa programmation au-delà du XIXème siècle. En 2018, le travail photographique d’Anne-Lise Broyer était à l’honneur avec Madame Air. En 2019, l’artiste allemand Markus Lüpertz y dévoilait ses récentes sculptures. En 2020, l’exposition collective Cœurs s’intéressait déjà aux traces du romantisme dans l’art contemporain, exposant notamment trois réalisations de Françoise Pétrovitch.L’artiste, elle aussi, est familière des invitations par des institutions patrimoniales, très récemment à l’Abbaye Royale de Fontevraud et en ce moment à la Villa Savoye. À chaque occasion, la façon dont les créations de Françoise Pétrovitch habitent ces lieux témoigne de l’écoute complice et consciencieuse de l’artiste à l’égard de leur histoire.
Ici, l’exposition Aimer. Rompre propose au public une rencontre plurielle et rythmée, entre harmonie et tension — une sorte de rendez-vous galant.
Dans la maison, les huiles sur toile de l’artiste contemporaine se sont immiscées parmi les objets anciens. Certaines représentent des artistes qui ont fréquenté le lieu à partir de 1830, année où le peintre Ary Scheffer a décidé d’y loger sa maison et son atelier. Dans une pièce étroite aux murs jaunes moutarde, George Sand fume — non pas la pipe, comme on lui connaît l’habitude, mais une cigarette. L’autrice habitait avec Frédéric Chopin à quelques rues d’ici. À sa droite pose son fils, Maurice Sand, aux formes vaporeuses. À l’étage, la chanteuse lyrique Pauline Viardot, vêtue d’un sweat, nous regarde, à côté d’un autre portrait d’elle-même par Ary Scheffer. De couleur rose — clin d’œil de Françoise Pétrovitch au cliché kitsch du sentiment amoureux –, ces huiles détonnent, créent un écart. Par cette dissonance, la rencontre a lieu. Deux époques s’ouvrent l’une à l’autre grâce à ces présences contemporaines qui semblent appeler, par ponctuation pop, les présences passées — ces nombreux artistes et intellectuels qui se sont trouvés et retrouvés ici, au cœur de la « Nouvelle Athènes ». Françoise Pétrovitch, en allégeant l’épaisseur du temps, propose un déplacement du regard sur ces figures mythiques, propice à la curiosité et à l’hommage.
La rencontre est moins frontale dans l’atelier où treize dessins au lavis d’encre sont accrochés dans une pièce semi souterraine, refuge marécageux. Des jeunes gens hors temps, yeux clos, se laissent porter, emporter, sans direction claire ni lieu précis.
Souvent, le contour faillit à sa mission. L’indéfini se donne à voir. Une main sous une aisselle, une joue sur une épaule : dans ces zones poreuses, dangereuses, se joue quelque chose de profondément romantique, l’éternelle indécision. A ces paysages humains se mêlent des paysages végétaux : l’île du parc d’Ermenonville dans l’Oise, où Jean-Jacques Rousseau a passé les dernières semaines de sa vie. Françoise Pétrovitch a pris le temps, sur place, de la contempler.
Des amas d’arbres et d’ombres semblent chercher, dans leurs propres reflets, les limites du réel. Par cette remarquable technique, laissant voguer l’eau sur le papier, l’artiste ouvre des brèches par lesquelles nous pouvons entrer. Notre imaginaire se dissout dans le sien.
À l’étage de l’atelier, où la lumière naturelle entre par une grande verrière comme le faisait le soleil du XIXème, sur toiles d’immenses adolescents s’imposent, forcent le recul. Certains ont le visage habité par une lumière blanche hypnotique. Suspendus dans l’espace-temps, comme en sursis d’un drame confus, ces fantômes contemporains paraissent prêts aussi bien à naître qu’à disparaître. Deux diptyques se font face. Chacun représente deux jeunes liés d’affection et pourtant séparés par l’infime interstice entre les deux toiles disposées côte à côte. C’est dans cette salle, temple de l’adolescence — « temps des métamorphoses et des possibles » pour Françoise Pétrovitch –, que le sens du titre de l’exposition éclot. La fascination des romantiques pour les tiraillements sentimentaux, teintée de regret et de nostalgie, vient ici cruellement se frotter à notre époque. Aimer, rompre : on quitte l’exposition avec, dans le cœur, de quoi explorer d’infinies combinaisons entre ces deux mots ennemis et amis.
L’exposition Aimer. Rompre joue le pari, avec finesse, de proposer au public d’échapper à la froideur parfois stérile des murs blancs et lisses habituels. Dans son attention minutieuse du lieu qui l’accueille, Françoise Pétrovitch va jusqu’à sonder la notion même de lieu. Lieux du paysage, du corps, de l’amour, d’une exposition d’art contemporain : là où bien souvent, parce que troublés, on se laisse de bon gré ensorceler.