Le Musée d’une nuit — Fondation Hippocrène
Présentée à la fondation Hippocrène jusqu’au 20 décembre, « Le Musée d’une nuit » est de ces rares expositions dont l’évidence tient autant de la qualité de ses pièces que de leur répartition au sein du parcours.
Exposition : « Propos d’Europe 13 — Le Musée d’une nuit (script for leaving traces) » du 3 octobre au 20 décembre 2014. En savoir plus Ancien atelier de travail de Robert Mallet-Stevens, l’espace accueille une exposition qui honore le génie spatial de l’architecte avec une fantaisie et une invention bienvenues. Intime et monumental, le parcours capte parfaitement l’esprit de l’architecture du lieu, oscillant entre les interventions légères, presque évanescentes et les configurations d’envergure. Un parcours très convaincant au cœur d’une collection qui reflète une conscience qui fait « communauté » de toutes ces œuvres, sans en forcer le trait ni les enfermer au sein d’une vision. Toutes, en effet partagent ou plutôt départagent un voyage où les zones d’ombre côtoient la lumière, où les veilleuses éclairent partiellement des pans de mur comme pour en rythmer la narration. Avec la complicité de Benoît Maire, qui a imaginé une œuvre disséminée tout au long de l’exposition forçant le regard à s’aventurer le long des lignes fuyantes du bâtiment, Le Musée d’une nuit se fait récit à entrées multiples qui fait se mêler détournement du réel, surréalisme pour aboutir à une certaine idée de la fiction.D’emblée, l’imaginaire est enclenché avec l’installation de Nina Beier & Marie Lund, qui ont déposé sur le seuil, à même le sol, une pile de lettres et prospectus. Preuve d’une occupation antérieure, cet indice témoigne tout autant de la possibilité d’un espace abandonné, peuplé seulement de souvenirs. Une idée que prolonge la mise en abîme d’Yto Barrada, photographie de papier peint kitsch lui-même représentant lui-même une photographie de paysage exotique. Sur un panneau typique des institutions sociales, Bethan Huws développe, pour sa part, un poème anxiogène, instaurant sur ce symbole du collectif une angoisse profondément subjective. De cette part d’étrange, jouant avec les codes de l’hyperréalité, l’exposition glisse subrepticement vers le surréalisme et la sculpture de Sarah Lucas résonne avec une belle acuité dans ce dialogue qu’elle entretient avec la peinture de Martin Boyce, où son inquiétante créature, comme une alliance de deux bassins ayant conservé leurs jambes autour d’une chaise, impose sa force esthétique déviante.
De son côté, Martin Boyce vient encore rappeler la question du lieu, cet atelier de Robert Mallet-Stevens, avec lequel il a tissé de nombreux liens. L’artiste s’empare ici d’un objet commandé par l’architecte pour développer une typographie. Une très belle métaphore de l’exposition elle-même, qui déploie des créations dans l’espace pour trouver sa propre langue, voire ses propres langues. Car la peinture se rencontre ensuite via d’autres formes, à commencer par ce très bel écho entre le tapis de Renaud Jerez monumental sur lequel sont sérigraphiés ses dessins et les tableaux d’Ayan Farah, châssis surmontés de matériaux divers (coton, couvertures, etc.), disposés sur toute la hauteur du mur. À leur manière, ces deux artistes nous renvoient au matériau premier de la peinture ; la toile, base qu’ils détournent pour perturber les fondations même de leur « page blanche » idéale, qui devient à sont tour une étape de l’histoire.
Car le récit, ici, est forcément pluriel ; que l’on suive le questionnement de Jakuta Alikavazovic où les échos de Marlie Mul, qui fixent dans ses sculptures les traces d’un monde industriel, en mouvement et, par extension, en proie à la disparition. Que l’on suive encore la problématique de la collection, cette tentative de maintenir, un temps donné, une œuvre qui, par définition, se doit de nous dépasser ou que l’on pose la question de l’architecture et du rapport de l’espace à la tension esthétique de l’œuvre qui l’habite, l’exposition articule une myriade de problématiques passionnantes et, sans y répondre définitivement, ouvre la voie à des perceptions concrètes de leur réalité. C’est sans doute là toute la force de cette proposition que de faire du questionnement même un outil, une étape narrative qui se fait trace secrète d’une histoire vivante.