Orientation — Galerie Salle Principale
Au cœur d’un espace brut rendu chaleureux par la structure mobile imaginée pour le lieu par Patrick Bouchain, la galerie Salle principale accueille jusqu’au 17 avril une exposition intelligente et cohérente autour de la question de l’occupation et du partage de l’espace qui encourage à une résistance par les pieds.
« Orientation », Salle Principale — la galerie du 17 février au 15 avril 2017. En savoir plus Confrontés à un pouvoir autoritaire systématique qui en définit les frontières, la société et les créateurs se prennent à penser des stratégies de lutte pour retrouver le souci de l’individualité. Comment en effet agir au sein de cet espace réglé qui contraint les corps, comment s’orienter pour réinventer sa place dans l’espace urbain ?Le titre même de l’exposition, Orientation est inspiré d’une œuvre de Matthieu Saladin, qui, avec une action discrète, presque imperceptible, oriente un flyer dans l’espace d’exposition. Presque imperceptible, un petit tas de cartes gît au sol et indique, pour qui se penche, le nord. Une indication qui tranche avec la signalétique habituelle de la ville, celle-là même qui nous surplombe. Ici, la politique urbaine n’est donc plus l’apanage du pouvoir mais au contraire, une somme d’informations que nous pouvons nous approprier, à nos pieds. Des contre-indications qui inventent une contre-ville contenant en elle son propre vocabulaire. C’est ainsi également par une intervention au niveau du sol que Gianni Pettena, cet architecte italien, déborde le cadre de sa pratique dans une performance de 1972 pour observer les limites entre espace naturel et construction humaine rendant ainsi tangible l’acte de décision d’aménagement du territoire. Lequel conditionne les déplacements de la population et nous touche jusque dans notre corps. Avec ses acolytes, Gianni Pettena trace à la bombe aérosol, dans les boulevards de Salt Lake City, la ligne représentant ses limites dans le cadastre. Transférant dans le domaine réel une frontière symbolique, il en souligne la portée majeure sur les conditions de vie.
Annie Vigier et Franck Apertet (Les gens d’Uterpan) déplacent pour leur part la danse et l’expérimentation dans le cadre urbain. Ils font de la ville un terrain de jeu sur lequel ils lancent, au hasard d’un tracé aléatoire et impossible dessiné à même la carte, les acteurs de leur performance Topologie dans des rues qui se refusent à un tel mouvement. Par les pieds encore, Dominique Mathieu transporte un étrange objet figurant une limite dans l’œuvre du même nom. Pièce de bois munie d’une poignée dont les stries en diagonale figurent les barrières classiques, elle fait de la frontière un point mouvant, soumis enfin à la réalité humaine. En l’occurrence celle de l’artiste qui, au cours d’une performance documentée par des photographies, arpente les rues et figure à tout moment une interrogation sur l’étendue, sur la valeur même de la limite, son ambivalence essentielle entre fermeture et promesse d’un autre, d’un extérieur à suivre. La pensée par les pieds donc, l’action en dit beaucoup sur la liberté et l’autonomie à inventer pour se réapproprier l’espace.
C’est enfin à même le sol, voire sous nos pieds, que Lois Weinberger, perturbe l’ordre artificiel de l’industrie et des hommes en plantant, lors d’une intervention à la Documenta X de 1997, des plantes rudérales, ces végétaux qui se développent spontanément dans des friches et autour de pierres abandonnées. Sur une centaine de mètres, entre deux rails de chemin de fer, il fait éclore un paysage au mouvement imperceptible mais tenace qui, à la frontière de l’invisible et du visible, joue avec les codes de la génération, de la transformation et de la mutabilité d’un territoire. Plus encore, la structure qui accompagne la photographie présentée ici nous rappelle l’invitation de l’artiste à participer de cette génération qui mêle spontanéité et intention avec la carte d’un parcours sur lequel semer à son tour des graines.
Cette tentative de déplacement, d’épuisement de la frontière par une succession de confrontations rend bien l’essence d’une exposition qui pratique un art de l’esquive ; ce pas de côté qui puise dans des domaines bien différents, architecture, danse, design et même biologie, les outils d’une réflexion en acte autour de nos espaces de vie. Des inventions aussi poétiques que politiques réunies avec cohérence ici offrent une résistance aux ordres établis de la ville, une mise à l’épreuve de son pouvoir et redistribuent l’éventail de possibilité de nos mouvements pour penser, voire évacuer la question d’un contrôle qui touche jusqu’à nos corps.