Roman Vishniac — Musée d’Art et d’histoire du judaïsme
Roman Vishniac était jusqu’ici l’homme d’un seul ouvrage. « Un monde disparu », ensemble paru en 1983, épuisé aujourd’hui en France. Le Mahj prouve en exposant plusieurs corpus inédits que ce photographe est l’auteur d’un œuvre pléthorique réalisé sur plus de 50 ans qui lui confère un nouveau statut dans l’histoire de la photographie.
Exposition : « Roman Vishniac — De Berlin à New-York : 1920-1975 » du 17 septembre 2014 au 25 janvier 2015. En savoir plus Roman Vishniac est donc connu pour son livre Un monde disparu. Émouvant. Déchirant ensemble de photographies entièrement consacré aux communautés juives traditionnelles d’Europe orientale. Photographies prises en Pologne, en Ukraine, en Ruthénie subcarpatique ou encore en Roumanie, entre 1935 et 1939, réalisées à la demande du Joint1, qui dressent un portrait des communautés juives, avant la Shoah. Vishniac y montre les communautés traditionnelles et rurales en décidant d’occulter la modernité de ce que pouvait être la religion moderne dans les grandes villes, la finalité de ces images étant de faire de la collecte de fonds pour le Joint. Avec la Shoah, ce corpus va changer de statut et apparaître comme les images d’un monde avant son anéantissement. Vishniac, par cet ouvrage, devint en effet avec le temps le plus grand témoin photographique (et l’un des derniers avant leur disparition) de ces communautés juives traditionnelles.Ces images, d’une tristesse parfois insoutenable (Sara, petite enfant dans son lit qui ignore tout de son destin), sont bien sûr exposées — comment les occulter ? — mais à leurs côtés, d’autres clichés, inédits parfois, exhumés par Maya Benton, conservatrice des Archives du fonds Vishniac, montrent que l’œuvre de Vishniac est immense et d’une diversité fascinante. Certains négatifs n’avaient jamais été tirés. Son travail de pionnier sur la microphotographie est sidérant (Vishniac était biologiste de formation), ses images de plage dans le Sud de la France sont d’une joie bienvenue tandis que ses portraits sur commande (Einstein ou Chagall) offrent un autre rapport à son imaginaire.
Un œuvre inconnu émerge ainsi sous nos yeux, avec toute l’émotion que cela peut induire, et avec ces images une grande traversée du siècle, de la Russie aux États-Unis, de Berlin dans les années 20 où il commence à faire de la photographie jusqu’à New-York, où il s’éteint dans les années 90 et où il reste actif comme photographe jusque dans les années 70. L’originalité et la force de l’exposition sont ainsi la (re)découverte de tout l’œuvre de Vishniac : l’Allemagne des années 20, la situation des juifs en Europe jusqu’en 1939 et un ensemble extraordinaire de photographies prises aux États-Unis dans les années 40 sur la communauté chinoise.
Avec cette exposition d’envergure, Vishniac est désormais à ranger aux côtés des « grands photographes documentaristes humanistes, dans la veine d’un Walker Evans », nous confiait Paul Salmona, directeur du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme. On ne le contredira pas, au contraire, on pourrait même ajouter à son style, l’ombre de Rodtchenko ainsi qu’une veine expressionniste que Fritz Lang n’aurait pas reniée.
1 Organisation caritative juive américaine