Émilie Pitoiset — Portrait
La dernière exposition inaugurée par Émilie Pitoiset, au centre Les Églises de Chelles, se nomme Vous arrivez trop tard, sous-titré du mot Cérémonie. Cet ajout s’imprègne dans l’esprit de manière encore plus énigmatique. En 1971, le film éponyme du cinéaste Nagisa Oshima évoquait un voyage géographique, prologue à une quête initiatique. Aujourd’hui, Émilie Pitoiset place sa propre cérémonie dans une scénographie précise, tendue, monochrome et quasi minimale dans laquelle se retrouvent ses accessoires, objets et/ou décors.
Toujours dans cette recherche de symétrie et de figures géométriques, ses sculptures ou installations sont aussi métaphoriques. Ainsi La Jalousie (titre par ailleurs d’un roman d’Alain Robbe-Grillet sur un mari observant l’infidélité de sa femme) est-elle devenue cet assemblage de planches en contreplaqué qui tiennent fragilement les unes sur les autres. D’autres mises en espace donnent à voir autrement les lieux historiques qu’ils investissent ou font intervenir de jeunes danseuses dans la première performance qu’elle mit en scène à Poitiers en 2011. Jeux de points de vue détournés ou miroirs qui ne reflètent pas leur moitié remettent en cause ce que l’on s’attend à voir. Les histoires elles-mêmes sont aussi incertaines, comme celle du célèbre cheval Devon Loch, ayant appartenu à la Reine Mère Elisabeth, dont la chute ne fut jamais expliquée. Sans apporter de réponse, Émilie Pitoiset en redonne à voir le contexte historique, tout en imposant une sorte de déséquilibre au spectateur intimé de contourner la barrière que le cheval n’avait pu franchir.
L’une de ses pièces les plus exposées s’apparente encore à cet animal en l’espèce d’une taxidermie qui reprend la position du cheval blanc abattu dans Le Sang des bêtes de Franju. Cette scène l’avait particulièrement marquée puisqu’elle s’en était déjà inspirée pour l’une de ses premières vidéos, Othello, de 2006. Dirigé d’une main de maître et d’un pistolet, un cheval obéissait aux directives de son cavalier jusqu’à une mort annoncée. On lui préfère encore cette œuvre « robbe-grillenne » intitulée Je ne me souviens pas de l’été dernier, de 2010. Constitué de dialogues issus du film L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, écrit en collaboration avec Alain Robbe-Grillet, un montage sonore passe sur un disque en acétate. Ce dernier est conçu pour s’altérer au fil des écoutes, tandis que l’un des deux acteurs semble avoir complètement oublié l’histoire d’amour que lui remémore l’autre… En 1961, le film était l’un des premiers à faire rentrer, de façon plus active, le spectateur dans sa narration.
L’exposition de Chelles se propose à son tour de « désécrire » très librement le roman d’Alain Robbe-Grillet, La Maison de rendez-vous. Sa veuve, la maîtresse-femme Catherine Robbe-Grillet fut aussi de bons conseils pour mettre en scène cette cérémonie… « S’agit-il seulement de la répétition d’un prochain spectacle, qu’elle met au point après le départ du public, la pièce de ce soir étant achevée ? (Si je ne me trompe pas, du moins, en pensant qu’il y avait une représentation ce soir.) À tout hasard je m’assieds au milieu d’une rangée de fauteuils », peut-on lire dans La Maison de rendez-vous. Alors sommes-nous arrivés trop tard ? Peut-être, mais où ? Sommes-nous en train d’assister à une cérémonie ? Est-elle achevée ? Nous attend-elle ? Est-ce bien une exposition ?…
À noter : Émilie Pitoiset présentera une exposition personnelle, Giselle, à la galerie Klemm’s de Berlin du 27 avril au 9 juin. En savoir plus