Ephemera et paroles à la galerie mfc-michèle didier — Rencontre avec Michèle Didier
Du 12 février au 23 mars, la galerie mfc-michèle didier accueille une exposition en duo où sont montrés dos à dos le collage Ephemera de l’artiste américain Christian Marclay et sept Paroles de l’artiste français Saâdane Afif. Au-delà de leurs spécificités formelles et processuelles, ces deux démarches sont traversées par un même fil rouge, l’écriture de la musique. Au cours de trois concerts organisés pendant l’exposition, elles seront donc réunies et activées par des musicien•ne•s interprétant les textes recueillis par Afif sur une partition musicale inspirée des folios de Marclay, donnant ainsi lieu à la création d’œuvres originales mettant à l’honneur la réappropriation. Afin de commenter ce projet inédit, la directrice de la maison d’édition et commissaire de l’exposition Michèle Didier revient avec nous sur la genèse et les enjeux de celle-ci.
Ephemera et Paroles est une exposition croisée où les collages d’Ephemera de Christian Marclay et les Paroles de Saâdane Afif se répondent, côte à côte, dans l’espace de la galerie. Comment est né ce projet d’exposition ?
« Ephemera et Paroles », Galerie michèle didier du 12 février au 23 mars 2019. En savoir plus Michèle Didier : En 2009, nous avons produit l’œuvre Ephemera de Christian Marclay qui prend la forme d’une composition musicale publiée à 90 exemplaires. Cette œuvre est composée de 28 folios, c’est-à-dire des collages réalisés à partir de divers fragments d’ephemeras collectés par l’artiste — publicités, pochettes de disque, prospectus… — où l’on peut lire des notes et portées de musique. En 2011, cette œuvre avait été présentée sur pupitres dans l’espace de notre galerie peu de temps après son ouverture : nous appelions cette première disposition : la version « orchestre ».Je souhaitais donc montrer à nouveau l’œuvre en lui offrant un contexte différent. Parallèlement, nous travaillons avec l’artiste français Saâdane Afif qui, depuis 2004, a mis en place un projet de commande à des auteur•e•s de textes poétiques inspirés d’œuvres qu’il a réalisées. Il m’a donc semblé intéressant de mettre ces deux démarches en regard dans l’espace de notre galerie et de les relier en faisant interpréter par des muscien•ne•s les textes de Saâdane sur la partition sonore de Christian. Les deux projets étant totalement indépendants, ce commissariat ainsi que les trois concerts organisés qui auront lieu sont donc entièrement nés de notre initiative.
Parmi les 191 « Paroles » recueillies par Saâdane Afif, sept ont été retenues pour être présentées dans votre galerie, écrites chacune par un•e auteur différent•e. Comment avez-vous opéré cette sélection ?
Cette sélection est en fait liée à l’histoire de notre galerie. Nous avons choisi des artistes par affinités, comme Jonathan Monk, mais aussi Émilie Pitoiset, que j’invite le samedi 23 mars à interpréter son texte dans la galerie. Il nous semblait évident de présenter le texte de Michael Riedel, pour sa richesse et son potentiel à nourrir une interprétation sonore originale. Nous avons également souhaité montrer le texte de Tacita Dean, plutôt interrogatif : ce texte fait planer une sorte de mystère autour de la personne de Saâdane. Ces choix procèdent donc de diverses raisons, et notamment dans l’optique de s’accorder avec les collages sonores de Christian Marclay. Beaucoup des textes recueillis par Saâdane Afif sont d’ailleurs eux-mêmes des collages, comportant des répétitions, des thématiques et des mots récurrents.
Les deux démarches exposées ont pour toile de fond la musique. En quoi la présence silencieuse des collages d’ Ephemera et des textes de Paroles aux murs parviennent-ils à invoquer le son ?
C’est avant tout la présence de l’écriture — textuelle et musicale — qui l’invoque, puisque celle-ci appelle inévitablement le son. Du reste, il revient aux spectateurs de faire leur propre travail. Cette pluralité interprétative est au centre du projet des artistes, à l’instar de Saâdane Afif qui émet un protocole puis le remet à des tiers pour qu’ils s’inspirent de ses œuvres. Quant à Ephemera, il s’agit en réalité d’une partition musicale ; libre à chacun•e de l’interpréter comme il ou elle le souhaite, soit en suivant scrupuleusement les partitions dans l’ordre affiché, soit en s’en éloignant délibérément. Certains interprètes se concentrent par exemple davantage sur les collages et leurs qualités visuelles que sur les notes et mélodies que l’on y déchiffre. D’ailleurs, la plupart des fragments regroupés dans les folios ne sont pas des portées destinées à être jouées mais seulement à représenter ou signifier la présence de la musique obligeant celui ou celle qui les découvre à en assumer l’interprétation.
Retrouvez notre entretien avec Saâdane Afif
Les pratiques des deux artistes se rejoignent également en une poïétique de la citation et de la réappropriation, passant par plusieurs langages : visuel et matériel, pour Christian Marclay, textuel et poétique pour Saâdane Afif. Comment ces différents langages s’articulent-ils au sein de cette exposition ?
À travers ces différents langages se manifeste toujours une écriture, qu’elle soit textuelle, sonore ou visuelle. Nous avons choisi de séparer physiquement les deux œuvres des deux artistes, mais elles sont réunies par les muscien•ne•s à l’occasion de trois concerts que la galerie accueillera. Lors du premier concert, ce sera la chanteuse lyrique Eléonore Lemaire qui les interprétera avec le percussionniste Richard Dubelski : ils ont choisi de transcrire toutes les portées musicales lisibles dans les ephemeras de Marclay et faire de cette retranscription une partition à jouer. C’est sur cette partition, qu’Eléonore Lemaire chantera les textes de Saâdane. Ce sont précisément ces concerts qui vont activer l’exposition et lui donner tout son sens.
Les trois concerts donnés à l’occasion de l’exposition Ephemera et Paroles auront lieu samedi 9 février 2019, de 19h30 à 20h avec la soprano française Éléonore Lemaire et le percussionniste Richard Dubelski, vendredi 22 février 2019, de 19h30 à 20h avec la violoniste Eva Gaal et samedi 23 mars 2019, de 19h30 à 20h avec l’artiste française Émilie Pitoiset et le musicien Shantidas Riedacker.