Follia Continua ! — Le 104
Organiser l’exposition d’anniversaire d’une galerie au sein d’une institution telle que le 104 pose question. Sans invalider d’emblée cette collusion et, surtout, l’absence fondamentale de thématique, l’exposition Follia Continua !, avant même que de s’ouvrir, porte en elle une problématique qui reflète les enjeux de l’art d’aujourd’hui.
Avec des pièces fortes pour beaucoup inédites à Paris, Follia Continua ! assure le spectacle et, de la ronde sensible des Vespa de Moataz Nasr au temple de vélos d’Ai Weiwei, en passant par l’arche métallique d’Antony Gormley, le 104 a su mettre à profit son immense espace pour capter l’attention de ses visiteurs. Mais, au-delà des œuvres monumentales exposées au sein de ses emblématiques halles, Follia Continua ! est une très grande exposition, qui se disperse et investit les couloirs, locaux techniques et portes dérobées de l’institution qui a mis tout en œuvre pour accueillir la cinquantaine d’œuvres présentées.
Dans ce torrent de propositions, on retiendra d’abord Le Cabinet du psychanalyste de Leandro Erlich que chaque visiteur, par effet de transparence, est invité à habiter, occupant au choix, à mesure des interactions, la place du patient comme celle de l’analyste. Anish Kapoor, lui, nous invite à pénétrer un étroit couloir qui occulte la lumière à mesure de sa progression ; une expérience grisante qui débouche au cœur d’un environnement circulaire lui-même parcouru d’une mini tornade qui s’élève sous nos yeux, à portée de main. L’expérience, aussi saisissante que symbolique, réinvente l’espace pour en ouvrir des dimensions inattendues.
Mais l’exposition n’hésite pas à prendre des risques avec des œuvres plus dures, aussi fascinantes qu’inquiétantes. Ainsi The Embalmer de Berlinde de Bruyckere déploie dans l’espace obscur ses corps naturalisés de chevaux suspendus dont la terrible pesanteur renvoie à la peinture de Bacon comme à l’imaginaire secret et torturé de l’humanité. Dans un registre bien différent, le dialogue engagé entre la barque surmontée de petits soldats de Chen Zhen, la montagne d’éléments de cuisine soudés de Subodh Gupta et l’imposant anneau dont l’intérieur est composé de miroirs de Kader Attia impose une gravité exceptionnelle qui fait de chaque espace de l’exposition une proposition à part entière. Malgré sa prolixité, Follia Continua ! réussit à éviter l’écueil du grand spectacle à tout prix pour s’attacher également à des œuvres plus discrètes mais tout aussi fortes avec la très belle salle organisant la rencontre des toiles d’Etel Adnan, du miroir de Michelangelo Pistoletto et de Cai Guo-Qiang.
C’est ainsi paradoxalement le sentiment de belle simplicité qui émane de cette collaboration titanesque où la cinquantaine d’œuvres se succèdent avec joie dans les espaces des différents bâtiments. Loin du clinquant d’un art contemporain où le luxe n’autorise aucune approximation, Follia Continua ! alterne la finesse à la joyeuse multiplication, mélange et montre comme elle peut des œuvres hétéroclites, offrant un décalage délicieux qui révèle l’esprit de la démarche ; l’essentiel se joue dans la rencontre de ces pièces avec le public.
L’exposition en elle-même, tortueuse, sinueuse, dépasse son propre cadre pour rayonner avec une belle générosité et confronte ces créations de la manière la plus évidente à un grand public qui, on en a la secrète intuition, ne manquera pas de s’en emparer.