Joana Hadjithomas & Khalil Joreige — Prix Duchamp 2017
Représenté par la galerie In Situ — fabienne leclerc, ce duo libanais explore depuis plus de quinze ans les traces de l’histoire et les images qu’elle véhicule depuis leur pays d’origine pour questionner les représentations mentales et la mémoire.
Autodidactes et arrivés au documentaire et arts plastiques par nécessité, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige se sont nourris de cette atmosphère d’urgence et d’invention d’un pays en reconstruction, au lendemain d’une interminable guerre qui a déchiré le pays, tout autant qu’ils en retranscrivent les mémoires, les histoires et les contradictions.
« Prix Marcel Duchamp 2017 — Maja Bajevic, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Charlotte Moth, Vittorio Santoro », Centre Georges Pompidou du 27 septembre 2017 au 8 janvier 2018. En savoir plus Protéiforme, leur production alterne films documentaires, installations, vidéos, lectures et performances. S’appropriant des fragments du réel, ils en distordent le centre de gravité pour mordre les frontières de la fiction. Les perspectives se font vertiges, compilant par exemple 3000 fragments pour constituer une vue plongeante sur Beyrouth dans Le Cercle de confusion et les images sont deviennent théâtres d’une lutte intérieure par le renversement du point de vue autant que par le temps lui-même. Une de leurs séries emblématiques, Faces, mettait ainsi en scène une multitude de visages de « martyrs » de tous camps politiques, photographies réalisées à plusieurs moments de posters couvrant les murs du Liban et dont la netteté et le détail s’estompaient au fil du temps. Si le duo d’artistes s’attachait, par endroits, à tenter de restaurer ces visages, l’absence et l’érosion révélaient les détails d’une persistance de la matière tandis que le souvenir s’échappe et que l’objet de commémoration devenait un symbole concret de la disparition.Naviguant à travers des champs aussi divers que la science, l’actualité et l’histoire, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige s’emparent de sujets inattendus et éclectiques pour explorer leurs propres interrogations et les mettre en scène dans des dispositifs qui impliquent le regardeur. À l’image du projet qu’ils ont élaboré pour le Prix Duchamp 2017 au Centre Pompidou, Time Capsules, ces sculptures suspendues reprenant la forme des « carottages » archéologiques, prélèvements tubulaires du sous-sol afin d’en évaluer l’ordre des couches sédimentaires. Véritables concentrés tubulaires d’une histoire secrète et pourtant bien tangible. Comme autant de totems en négatifs, ils révèlent les strates d’inconnu qui nous portent et portent en eux, comme autant de motifs, des ères temporelles. Cette capacité à « donner forme », à faire du temps un outil de composition sensible souligne bien toute la force conceptuelle, la portée critique et surtout la puissance poétique de leur œuvre, qui ne cesse de se renouveler et d’explorer des champs de l’imaginaire qui sont autant de rappels du monde, de ses luttes et de ses tensions.
Mémoire, oubli, basculement vers l’irréel et fantastique sont ainsi autant de pôles magnétiques exerçant une attirance sur leurs projets, une fois concrétisés, qui se voient traversés d’autant de notions bouleversant leur sens pour mettre en jeu le doute, la « concrétude » d’une suspension du vrai à une infinité de faisceaux qui, dans leurs contradictions, leurs luttes et leurs attirances, la soutiennent tous ensemble, sans jamais la « révéler ». Car leurs œuvres ouvrent des champs plus qu’elles ne portent des assertions, jouent de l’inconnu, de l’indicible et du doute pour chaque fois nouvelle constituer une particule de réel comme une entrée singulière qui s’ajoute et se compile aux autres. En cela, ces deux artistes parviennent comme peu à subvertir la frontière entre réalité et fiction pour en dire, avec retenue et humilité, la nature plastique et profondément complexe.
Le prix Duchamp, qu’ils ont reçu le 16 octobre dernier vient récompenser une création forte et engagée qui a su, au fil des années, inventer un véritable miroir de souvenirs et d’images qui brouillent les frontières entre perception et souvenir, entre réalité et fiction pour mieux refléter, avec toute la dureté et la poésie qu’il porte en lui, le monde.
Joana Hadjithomas et Khalil Joreige bénéficient par ailleurs d’une exposition au sein du musée Marc Chagall de Nice du 4 novembre au 26 février 2018 dans le cadre de la nouvelle et prometteuse biennale Movimenta ainsi que d’une prolongation de leur exposition jusqu’au 2 janvier 2018 au musée national Pablo Picasso de Vallauris. Pour en savoir plus, vidéo de présentation de leur dernière exposition au Jeu de Paume qui s’est tenue en 2016.