Gérard Paris-Clavel — Maison d’art Bernard Anthonioz, Nogent
La Maison d’art Bernard Anthonioz de Nogent accueille jusqu’au 12 novembre une exposition de Gérard Paris-Clavel, activiste de l’art graphique qui fait du partage et de l’action des éléments essentiels d’une démarche célébrée ici avec le sérieux et la joie qu’elle mérite.
Sans autres mots que les siens ou ceux qu’il collecte au gré de ses actions, l’espace d’exposition parvient vraiment à transmettre un enthousiasme saisissant qui n’occulte pourtant pas l’urgence et la violence des sujets qu’il aborde. Depuis ses débuts avec le collectif Grapus, Gérard Paris-Clavel, qui signe par ailleurs un émouvant témoignage de cette époque, fait preuve d’une irrévérence prémonitoire face à des symboles communistes qui ont pourtant été vecteurs de rencontres, de critique et d’invention. Une ambivalence qui résonne particulièrement avec son inclinaison à penser le « partage ». À l’heure où ce terme semble se limiter à un simple transfert d’information (voire de mise à jour de soi sur les réseaux sociaux), il pousse ce concept dans sa dimension d’engagement personnel, « au risque de l’autre, du conflit » comme il l’évoque lui-même. Cette belle et grave ambivalence se lit alors en filigrane comme un motif qui réunit le besoin d’acte, la tension du réel et la nécessité, pour l’affronter, de la poésie et de l’imaginaire. Lutter se conjugue ainsi avec un devoir de construction, un besoin d’invention qui charrie de nombreux symboles et un enthousiasme certain de l’utopie. Ne pas plier donc, à l’image du nom donné à l’association fondée par l’artiste, mais se confronter à ces images vivaces, ces associations d’idées et de formes qui détournent les attendus et dessinent un monde en mouvement où lettres et motifs se mêlent dans un torrent d’implication collective partageable et contagieux.
Plus encore, l’exposition parvient à montrer l’invisible, le travail constant de dialogue mis en place par un artiste qui convoque tous les champs de la pensée (sociologie, sciences politiques, sémiologie, économie, etc.) pour engager en pratique un art de la communication et ouvrir un dialogue. Au-delà du visuel et de la valeur d’image, ses créations se mesurent à l’aune des positions qu’elles essaiment, des dialogues nombreux qu’elles font naître et des communautés symboliques qu’elles construisent, à l’image de son logo « Rêve générale » qui pullule encore dans de nombreuses manifestations. Par conséquent, face à la forme figée de l’exposition, le pari était compliqué de rendre cet ensemble aussi vivant et tangible sans l’intervention d’éléments artificiels. Mais par la multitude des collaborations, la générosité de son approche et son inscription permanente dans un contexte plus large, son œuvre elle-même semble en mouvement, parcourue et nourrie de ces échanges, de ces discussions.
Cette traversée dans les œuvres de Gérard Paris-Clavel, au gré des projets, Des commandes et des manifestations nous replonge également dans les luttes qui ont animé le corps social français depuis les années 90. Des prises de parole et de position contre les conflits militaires au Koweït ou en ex-Yougoslavie, des grandes grèves de 1995 à Nuit debout en passant par des interventions critiques à l’égard d’une mondialisation libérale, c’est 30 ans d’insoumission à un ordre immoral du monde, d’indignation et d’encouragement, à travers toutes ses productions, à une mobilisation de la parole, à une exhortation à chercher ensemble quelle place la contestation doit occuper.
Et surtout quelle place occupe-t-on lorsqu’on conteste ? Car le véritable tour de force de l’artiste est finalement, à travers des slogans forts et des créations tapageuses, de maintenir cet étroit équilibre entre prise de parole et autorité du message. Cette tension subtile se révèle alors en négatif dans des oxymores libertaires qui pourraient bien accompagner son œuvre : pas d’ordre dans ses invectives, pas d’apologie dans ses célébrations, pas de propagande dans ses propagations sinon ce besoin, précisément, de contaminer, par la communication, l’apoplexie et l’indifférence.
Pour le citer, « Donner sans réciprocité, c’est prendre le pouvoir ». En ce sens, Paris-Clavel transmet le virus du partage, cette entreprise complexe d’approcher autant que laisser approcher l’autre, cette mise à l’écoute de soi et des autres pour prendre ses responsabilités et enfin percevoir que toute liberté, pour fragile qu’elle est, ne se reçoit pas ; elle se construit et plus que tout, elle s’assume.