Julien Creuzet — Palais de Tokyo
Le Palais de Tokyo présente jusqu’au 12 mai une première exposition personnelle d’envergure du jeune artiste Julien Creuzet (né en 1986) ; fragile en son fond, le parcours se perd autant qu’il nous perd dans une accumulation qui échoue hélas à mettre en valeur l’œuvre présenté.
Avec un tel parti-pris aussi bavard qu’absurde, difficile de sentir une implication ou une forme de prise, « l’exposition » est ici à prendre au pied de la lettre, hors de toute position. Un choix assumé qui projette le spectateur face à une multitude de structures sculptures enveloppées dans une nuée de textes omniprésents. Des poèmes qui tiennent plus du domaine de l’incantatoire convoquant des formules poussives dont l’énergie ne parvient pas à masquer le manque de technique. Mais plus fondamentalement le manque d’idée force, de tension sous-jacente dirigeant le faisceau des images éparses pour lui éviter l’effet cadavre exquis aléatoire plus ornemental que pensé. Comme un écho à ces œuvres plastiquement mal maîtrisées qui dessinent dans l’espace des volutes de volumes abscons évidées de toute problématisation des matériaux ou des motifs, n’éludant rien pour laisser s’accumuler les images, symboles. Symptômes brouillons devenus stigmates de la caricature d’art contemporain plus inspirée d’une énergie brute et probablement sincère que de la mise en jeu des moyens de production. Mais la narration n’a que faire de la sincérité et, rappelant même les bases du projet « pop millénaire », s’épuise dans l’accueil kaléidoscopique de toute forme de références.
La cohérence formelle entre ces ensembles indistincts, loin d’en singulariser les œuvres ou de produire même un récit éclaté, les confond dans une installation aléatoire qui pourrait tout aussi bien se déployer à l’infini comme se réduire en continu. Rien ne fait ici ni limite ni sens, donc rien ne se positionne ni se questionne ; rien ne propose. Même l’usage de barrières police, matériau urbain lourd de sens, se trouve écrasé sous l’accumulation et loin d’apparaître comme la grille ou la structure d’une quelconque recherche, ne constitue qu’un élément d’apparat qui parle, décoration aux limites de la symbolique lourde. Par clins d’œil, les œuvres ne discutent qu’avec l’artiste qui, lui, laisse étonnamment sa voix et son image (forcément omniprésente dans l’exposition) se mêler à d’autres, prolongeant en fanfare une animation vidéo un ego trip d’un kitsch rare au sein d’un écran vidéo. La scénographie elle-même semble avoir abandonné : on passe d’une occupation de l’espace et d’un cheminement aléatoire du « regardeur » à deux espace clos (l’un en réalité virtuelle, l’autre par le biais d’une projection) sans aucune autre problématisation que sa propre voix.
Face aux attentes générées par l’enjeu d’une présentation d’envergure, le sentiment est d’autant plus amer que certaines images (« Maïs chaud Marlboro », les filets comme liens d’aliénations et de soudures entre les éléments de sculptures, ces barrières police qui pourraient réinventer la grille de composition) laissent entrevoir une possibilité d’invention de décalage, de fantaisie et de charge sociétale, malheureusement plombée par l’accumulation et les contradictions qui les effacent et les recouvrent. L’art de Julien Creuzet aurait vraiment mérité un meilleur accompagnement.
Au final, l’exposition de Julien Creuzet, à l’instar de sa présentation qui ne s’embarrasse pas de la moindre explication ou indication pour donner un cadre de lecture à ses œuvres, résonne dans le vide. Elle entasse les matières et les sons, les formes de spatialisation contradictoires avec pour simple fil rouge des jeux de mots qui prennent bien soin de cocher les cases de l’autojustification en convoquant l’histoire, la fiction, la science-fiction et le temps pour offrir le contraire de la narration qu’il vise ; l’allitération fiévreuse d’une complainte creusée d’oppositions manichéennes dont la simple « performativité » fantasme l’effectivité. Abandonnée à son libre cours et au seul espoir de l’émergence d’un argument par la répétition d’affirmations, son exposition se perd en une tautologie aléatoire percluse de signes et dénuée de sens.