
L’art et la vie et inversement, exposition Félicités 2024 — Beaux-Arts de Paris
Sous le commissariat d’Anaël Pigeat, l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts présente sa traditionnelle exposition des Félicités avec un parcours de haute tenue marqué, dans sa visée générale, par une exploration de sensibilités qui ne se réduisent jamais à des subjectivités catégorisées et ne manquent pas de rejoindre les enjeux politiques de notre époque.
Un entre-deux souvent éthéré et presque onirique que résume pourtant parfaitement l’imbrication essentielle portée par le titre de la présentation, L’art et la vie et inversement, une réactivation trouble et ancrée dans notre époque d’une revendication politique qui aura traversé les siècles : l’art, c’est la vie. Et leurs vies, indéniablement, font l’art. Au sein de ce parcours à la sobriété exemplaire, résolument tourné vers leur mise en valeur, chaque œuvre trouve une heureuse communauté qui fait de l’exercice, souvent aléatoire, une prouesse de scénographie qui ne doit, on le perçoit rapidement, pas tout au hasard.
Nous vous présentons donc une sélection de travaux qui marquent, parmi de nombreux autres, ce parcours plein d’un engagement trouble, aussi pertinent qu’inventif et décidé à brouiller la frontière entre création, position et quotidien.
Clémence Gbonon
À mi-chemin entre la réflexion théorique et l’abandon fantasmatique, la peinture de Clémence Gbonon offre des visions ambiguës où les corps et les matières se découvrent par strates, emmêlés dans le battement organique du mouvement des rêves. Un jeu de sensations et de perceptions qui invente, sans perdre l’efficacité plastique, sa propre tranchée dans la figuration contemporaine.
Alexandre Yang
Comme un kaléidoscope de techniques et d’histoires éparses, Alexandre Yang brise la cohérence et la règle du tableau pour le parsemer d’éclats de pensée aussi drôles qu’inattendus. Avec un sérieux de maître, il fait dérailler la composition en déclinant les registres et en décalant les codes de proportions pour installer une bizarrerie qui, presque lascive, ne manque pas de séduction.
Sergiy Petlyuk
Derrière (littéralement) la frontalité symbolique d’une installation qui marque par la radicalité de sa proposition, Sergiy Petlyuk cache un message tout aussi direct qui plonge sa signification dans une solitude tragique. Tranchant avec la démultiplication des outils de communication technologique, le signal d’alarme acte l’impossibilité d’être entendu. Un SOS qui résonne avec force dans le contexte international réduisant les vies humaines à des variables relatives aux intérêts géopolitiques mouvants.
Gilad Ashery
Terre et territoires grondent dans les œuvres au réalisme sauvage et à l’invention maîtrisée de Gilad Ashery. En usant de l’argile, il fait sortir de terre ce qui y a été plongé et celui qui s’y est plongé ; moulages de son propre corps enterré et ramené à la vue dans une réinvention à la fois grotesque et pleine de vie. En parallèle, une vidéo capture la chaleur de son corps, suggérant le battement continu d’une vie sous cette même terre.
Louise Vo Tan
Dans une installation monumentale multipliant les écrans, Louise Vo Tan fait glisser le paradigme de la surveillance vers la contemplation. Objet de contrôle d’un processus caché à la vue, la destruction industrielle de véhicules issus de cette même industrie devient, dans cette constellation d’écrans, un objet hypnotique rendant la technologie une temporalité circulaire dont le point de départ, à la marge (depuis les bandes d’arrêt d’urgence des autoroutes), rejoint un cycle parallèle à celui qui l’a vu naître.
Claire Gitton
Des toiles qui révèlent, par transparence, une mémoire dynamique, celle-là même qu’explore Claire Gitton en interrogeant l’histoire et l’héritage. Mémoire des formes et implication nécessaire d’une histoire de l’art, sa peinture installe une matérialité éthérée au motif, au sujet de son œuvre. Réussissant à maintenir le trouble d’une intention forcément voilée par celles des autres, elle déploie trois propositions qui font résonner les infinies subjectivités qui agitent tout auteur, pour mieux dire la vie rêvée des œuvres.
Ruoxi Jin
Ruoxi Jin ne se contente pas d’investir des espaces périphériques (escalier, entrée, creux du mur), elle invite le visiteur à se projeter à son tour vers ces lieux qui n’existent pas. Entre des fenêtres inventées, une lourde porte de sous-marin fichée dans la cimaise, un portail fait de clous et des didascalies aux indications abstraites de tout lieu de représentation — à moins que l’on considère l’imagination comme décor d’une scène universelle —, l’artiste multiplie les trouvailles et les inventions pour nous emmener dans sa propre recherche, celle d’une fille de son père, dont les maigres indices laissent à chacun la possibilité de s’approprier librement le sens même de l’enquête.
L’art et la vie et inversement, exposition Félicités 2024 — Beaux-Arts de Paris — Félicités 2024 : Gilad ASHERY, Örs BATMAZ, Abdelhak BENALLOU, Margot BERNARD, Zoé BERNARDI, Thomas BUSWELL, Anna DE CASTRO BARBOSA, Alessandro DI LORENZO, Hugo FRANCONERI, Clémence GBONON, Claire GITTON, Julien HEINTZ, Hélène JANICOT, Ruoxi JIN, Bahar KOCABEY, Joshua MERCHAN RODRIGUEZ, Alexandre NITZSCHE CYSNE, Sergiy PETLYUK, Hajar SATARI, Anne SIMIN SHITRIT, Isadora SOARES BELLETTI, Hugo VIANA DA SILVA, Leïla VILMOUTH, Louise VO TAN, Libo WEI, Alexandre YANG — Du mercredi 12 février 2025 au dimanche 16 mars 2025