Monia Ben Hamouda — La Ferme du Buisson
L’œuvre de Monia Ben Hamouda, née en 1991 à Milan et d’origine italo-tunisienne, s’enracine dans une réflexion sur l’héritage familial et la mémoire ancestrale, et tente de cristalliser ces dynamiques dans un formalisme singulier.
Parce que derrière la gravité apparente, derrière le « baroque » de circonvolutions qui inscrivent de l’aléatoire au sein des signes, Monia Ben Hamouda trace un sens sans signification mais pas sans direction, un lien dynamique entre des réalités que ses sculptures unissent. De la séduction à la violence, de la flatterie des sens jusqu’à l’oppression, son exposition à la Ferme du Buisson articule au cœur de sa réflexion un souffle de rage qui participe au vocabulaire formel de sa création.
L’histoire, la géographie, la politique, l’expression et l’abstraction s’enchevêtrent ici dans une prose sans mots qui n’a rien d’une fin en soi. Au contraire, leur installation dans l’espace sonne le départ d’un voyage dont la masse, l’odeur, la vie même — qui s’y inscrit par l’oxydation et surtout par l’intervention finale de l’artiste — déjouent le piège de la séduction visuelle, de son exotisme mythifié. Le périple n’est pas seulement celui du spectateur mais bien celui de rapports venus jusqu’à lui.
Employant les signes d’une tradition ancestrale et s’inscrivant à la suite du mouvement Hurufiyya, qui développa au milieu du XXe siècle un art dérivant des formes d’abstraction de la calligraphie islamique traditionnelle, sa création, lestée de toutes ces histoires, animée par les enjeux d’une histoire de l’art dominée par sa perspective occidentale, riche de sa liberté aussi (Monia Ben Hamouda ne maîtrisant pas elle-même parfaitement la langue), s’impose dans sa monumentalité et dans l’impossibilité de sa circonscription. Le doute et le suspens ne sont pas seulement plastiques : ils perdurent dans la signification même des pièces, dans les voies de traverse qu’elles dessinent par effraction (une aile d’oiseau, un visage, une silhouette apparaissent çà et là) pour brouiller un message qui devient celui-là : vestiges, ruines, installations ne sont jamais libérés de leur sens, ils sont toujours à activer.
Jusqu’à se concentrer sur le geste ancestral d’application délibérée d’une matière « marquante » sur une paroi, devenu ici œuvre à part entière par cette décision essentielle : l’isoler et la porter au regard des autres pour en faire un pont commun entre deux consciences, pour en faire le véhicule premier d’un dialogue, verbalisé ou non.
Derrière les codes de la calligraphie traditionnelle et de l’installation institutionnelle, c’est un rapport réflexif et frontal à l’histoire de l’art à travers l’histoire du sien propre qui dirige cette installation monumentale. Spatialement invasive et s’immisçant jusque dans notre corps à travers la puissance de son odeur, la proposition totale de Post-Scriptum semble acter l’avènement d’une ère qui ne se nourrit plus que de mots mais ne peut s’empêcher de retourner aux faits. Rien n’y est droit, tout y est oblique.
Les signes ne signifient ici rien d’autre que leur propre contondance et, à travers les stigmates de projections et leur processus même de corrosion, nous engagent tout entiers à expérimenter cette violence qu’elle-même inflige à sa création, interdisant toute inertie face au monde que l’art se doit d’habiter en témoin, investir en passeur.