Ouverture de la Chalet Society — Marc-Olivier Wahler
Événement de cette rentrée, la Chalet Society ouvre ses portes le 17 octobre en plein cœur de Paris. Marc-Olivier Wahler, ancien directeur du Palais de Tokyo et initiateur de ce projet nous présente en avant-première ce centre d’art d’un genre nouveau qui nous a d’ores et déjà convaincus et revient avec nous sur ce qu’il entend par réenchanter le monde.
Guillaume Benoit : De quel besoin est né ce nouveau type de centre d’art, la Chalet Society ?
« The Museum of Everything », Chalet Society du 17 octobre 2012 au 31 mars 2013. En savoir plus Marc-Olivier Wahler : J’ai toujours beaucoup réfléchi à l’identité du lieu d’art. Le centre d’art en tant que tel est né d’un besoin bien particulier il y a plus de 150 ans avec les Kunsthalle ; notamment pour proposer des expositions temporaires et donner une visibilité aux artistes. Aujourd’hui, les musées et les galeries ont une identité très forte et, d’une certaine manière, font le travail d’un centre d’art. Aussi, la question fondamentale était : « Quelle identité peut avoir le centre d’art aujourd’hui ? » J’ai donc essayé de réfléchir en pointant vers d’autres disciplines et notamment l’informatique. Historiquement, les Software se sont structurés pour fonctionner sur des plateformes données (Hardware) et, plus le temps a passé, plus ces Software ont réussi à se dégager de l’architecture pour réussir à fonctionner et à se greffer, sans changer d’identité, sur des plateformes totalement différentes.L’idée d’occuper un lieu de façon éphémère est donc constitutive de ce projet ?
Très rapidement en effet, la question fondamentale est devenue : « Pourquoi ne pas imaginer un centre d’art qui puisse se greffer comme un Software sur différentes architectures ? » On part donc de l’obtention d’un lieu pour une période donnée (ici cette ancienne école prêtée par un partenaire privé, le groupe Emerige pour un an environ) qu’on se propose d’investir en y créant un programme spécifique et, simultanément, de développer une identité qui soit assez forte pour pouvoir la greffer sur des endroits différents.
Comment s’articule cette double perspective ?
D’abord, il est impératif de créer un programme qui se différencie des autres centres d’art. J’ai toujours eu comme adage la phrase de Godard : « Ce sont les marges qui font tenir les lignes. » Cette idée de marge est très importante car elle s’accorde parfaitement avec l’absence de hiérarchie ; ce ne sont pas simplement les lignes qui donnent le contenu mais aussi les marges qui font tenir la totalité des significations. Une idée que partageait également un artiste qui m’a beaucoup influencé, Steven Parrino, pour qui le populaire et la haute culture se rejoignaient nécessairement quelque part.
Pour cette première exposition, vous invitez James Brett et son Museum of Everything, fruit d’une recherche à travers le monde d’artistes en marge des institutions ; c’est une façon de mettre en scène cette absence de hiérarchie ?
L’idée de la Chalet Society, c’est de créer une communauté qui lie des artistes qui vivent par exemple reclus dans une chambre (ou dans des asiles psychiatriques) à des artistes qui exposent dans les plus grandes galeries. Nous essayons de regarder la valeur intrinsèque des œuvres, ce que ça veut dire, ce que ça nous apporte. Ce sont les valeurs de la Chalet Society, de même que la conscience poétique ; nous sommes convaincus ici que l’art n’est pas génie d’esprit et que l’appréhender exige un regard débarrassé de filtres qu’on veut bien nous donner politiquement, éthiquement et moralement. D’où cette conviction qu’exposer des artistes en marge fait autant sens qu’exposer des artistes du marché. On prépare déjà une seconde exposition avec Tatiana Trouvé qui, si elle est une artiste totalement intégrée au marché de l’art, n’en produit pas moins un travail que j’estime être, lui aussi, en marge de la production contemporaine.
En marge, justement, de ces artistes exposés dans le Museum of Everything, pour la plupart méconnus, des critiques, curateurs et artistes internationaux sont invités à écrire des notices, cette notion de dialogue vous paraît importante ?
Il est très intéressant de constater, précisément pour l’histoire de l’art, qu’il y a de nombreux artistes très connus, Maurizio Cattelan, John Baldessari qui ont écrit sur les artistes présentés et qui ont communiqué l’influence que ces derniers ont pu avoir sur eux. Il y a dix ou vingt ans, peu de monde les connaissait, excepté des artistes, ce qui prouve à quel point leur oeil peut être impressionnant.
C’est aussi par ce croisement de regard qu’on peut ouvrir l’art à différents publics ?
Face à l’incompréhension dans l’art contemporain, il faut essayer de trouver des discours qui ne soient pas uniquement théoriques. Quand on parle d’un être humain qui se transforme en extra-terrestre dans un film de science-fiction par exemple, tout le monde trouve ça normal, mais quand on a un objet usuel qui se transfigure en objet d’art, il semble que cela devient plus difficile de comprendre.
Ce surgissement de domaines autonomes (physique quantique, science-fiction, etc.) au sein de l’art contemporain est un combat que vous menez depuis longtemps maintenant dans les expositions que vous organisez…
Ce qui me paraît le plus important, c’est le « quotient schizophrénique » d’une œuvre d’art. C’est-à-dire que plus l’œuvre est capable d’emmagasiner des interprétations différentes, plus elle gagne en densité et en efficacité. C’est effectivement mon « grand combat » d’amener le spectateur non pas seulement à voir une œuvre mais à la voir dans un contexte plus large. Le contexte doit être tellement large, tellement englobant qu’il faut que cela devienne presque impossible de ne se concentrer que sur une œuvre. Bâtir un système de correspondances entre les œuvres, les artistes et les courants qui soit actif et non plus seulement un point fixe dans l’espace est, finalement, ce qui m’intéresse vraiment.
L’autonomie est même, à terme, l’un des objectifs de la Chalet Society ?
L’ambition de la Chalet Society est effectivement de devenir un instrument efficace au service des artistes. De même qu’avec l’appel aux contributions du public par le biais de MyMajorCompany 1 qui l’inscrit dans un cadre « collectif », j’aimerais que les artistes s’emparent de la Chalet Society et y construisent des projets avec d’autres artistes, qu’elle dépasse finalement ses organisateurs et dégage certaines « envies de faire ».
1 La Chalet Society a lancé un appel à participation via le site de microfinancement MyMajorCompany, proposant aux internautes de contribuer directement à la vie du centre d’art. En savoir plus