Saâdane Afif — Centre Pompidou
Invité à présenter au Centre Pompidou ses Fountain Archives, Saâdane Afif rend un hommage appuyé à Marcel Duchamp tout en entraînant cette œuvre symbolique du musée dans un champ conceptuel qui en poursuit le geste initial.
Recherche obsessive et minutieuse entre appropriation et continuation du geste fondateur de Duchamp, les Fountain Archives de Saâdane Afif dessinent la cartographie de la zone d’influence d’une œuvre qui n’en fût pas. Car avant de faire couler l’encre et d’inséminer dans l’imaginaire la force vivante du ready-made, à la manière dont la vie donnerait sa magie à l’inanimé, le totem d’émail de Duchamp tenait de la gageure performative.
Avec cette présentation exceptionnelle des archives, la mise en scène de nombreux extraits et l’aménagement d’une ne bibliothèque interdite où trônent, derrière des vitrines, les volumes dépouillés des pages qui ornent les murs, on mesure la dimension et la profondeur d’un travail de recherche passionné. Sur tous les tons, cette variation vire à l’obsession, icône égale à elle-même qui se voit même célébrée par des textes poétiques. À travers la pluralité des points de vue et sujets abordés par ces articles, la fontaine acquiert une véritable identité culturelle, tantôt objet d’étude, illustration, symbole ou événement d’actualité. Mais plus encore, se nourrissant à son tour des publications qu’elle engendre et qui l’évoquent directement, The Fountain Archives devient une force de vie génératrice qui ouvre un chemin dans la réflexion autour de l’archive, de la conservation et de la transmission, enjeux fondamentaux de l’œuvre de Marcel Duchamp.
Car Saâdane Afif, à son tour, déjoue les frontières de la production et de la reproduction ; il organise, derrière la rationalité systématique d’un système d’archives global, un rapport à l’œuvre qui dépasse l’appropriation pour révéler sa désappropriation effective, sa capacité à devenir le propre d’elle-même tout en appartenant à chacun. Un propre qui, en affirmant sa singularité, se partage. En témoigne cette quasi-disparition assumée de la démarche artistique de Saâdane Afif ; pour de nombreux visiteurs, la présentation, dans un souci de pudeur mesuré, se fond avec le dispositif muséal de centre et apparaît, si l’on n’y prend garde, comme un accompagnement documentaire de l’œuvre présentée sous vitrine.
Succession d’échos et d’ondes qui propagent l’art jusqu’à perdre la signature pour laisser vivre la forme dans sa singularité, la démarche à l’œuvre dans Fountain Archives parvient à transcender son statut pour rappeler que la mémoire est une matière dynamique qui, si elle fige les moments de création, participe tout autant à leur réactivation. De sorte que se dégage de cette présentation une formidable réflexion autour de la postérité d’une pièce légendaire, un art si moderne qu’il s’intègre parfaitement à sa continuation et reste notre contemporain.