Lucile Littot — Galerie Alain Gutharc
L’univers de Lucile Littot, née en 1985, convoque des figures féminines tragiques dans des mises en scènes, peintures, vidéos et installations où le grotesque se fait l’écho d’une décadence splendide, où les fastes gardent les stigmates des brûlures de l’âme et révèlent des failles bien plus profondes qu’un simple jeu de princesses et de monstres.
C’est peut-être la part d’enfance, toujours accompagnée d’un romantisme noir et d’une somme de références impressionnante qui est le plus touchant dans cet œuvre qui emprunte des codes épars avec notamment cette façon d’assumer l’approximation, un baroque punk qui joue de son kitsch pour aller à l’essentiel, le plaisir de manipuler la matière et de produire de l’image. Le titre de l’exposition lui-même, FlashBack, renferme cette triple notion de retour dans le temps, d’une vie rêvée sous les feux des projecteurs et de l’urgence aveuglante du désir. Un triptyque ravageur que met en scène avec sobriété cette présentation à la galerie Alain Gutharc, qui permet d’appréhender plus en profondeur cette joie créatrice qui dépasse la part de régression assumée pour affirmer sa cohérence tapageuse.
Lucile Littot déploie dans ses installations des références constantes à l’histoire, la littérature et à la mythologie, explorant des imaginaires qu’elle poursuit de ses avatars, à l’image de la série Dolores 2028, présentée ici, un ensemble de toiles qui met en scène un avatar de la Lolita de Nabokov et la Lola de Jacques Demy. Dans cette litanie baroque, le goût des strass et des dorures sonne comme une plongée au cœur d’un cerveau échappé, victime jouisseuse de l’apparat nobiliaire et des fastes jusqu’à l’épuisement, l’écœurement. En organisant un rapport troublant entre le jeu d’enfant et le tabou du sexuel, le désir et l’imaginaire se fondent en compositions outragées et chaotiques. Des silhouettes inquiétantes et torturées se dessinent où l’organique se mêle à l’artificiel ; les orifices deviennent accessoires, couronnes ostentatoires posées sur ces yeux qui nous fixent. Ces femmes alanguies aux contours soupçonnés ou figurés noyées sous la masse de paillettes et de pastels n’ont rien d’une vision prude et désincarnée. Elles adossent l’onirisme et la naïveté à la perturbation des sens, au voile de confusion qui unit désir et objet du désir. Elles s’ébattent surtout au cœur d’un carrousel peuplé d’animaux qui les enlacent, les embrassent, se lovent et se confondent finalement en tourbillons et sarabandes biscornues. Les membres en tous sens, les organes se perdent en plumes, plantes, pieux perforants et velours dégoulinants.
Dans ce carnaval du vertige, c’est tout aussi bien la culture classique qui se voit renversée que ses propres héroïnes, plongées dans leurs contradictions. Lucile Littot use de ses pièges de reines absorbées par leur propre image, enfermées dans un fantasme qui les coupe du monde et en dit finalement plus que ce que l’on pouvait attendre sur le nôtre, parcouru d’autant de flux d’images miroirs, de personnalités-miroirs victimes d’une auto-médiatisation qui les isole. En ce sens émerge une beauté inattendue qui transcende ses sujets pour en faire des reflets déliquescents de fantasmes irréconciliables où la beauté, la singularité rêvée, se muent irrémédiablement non plus en monstre mais en répétition tragique de la médiocrité.
L’installation principale de l’exposition, Smile You Are on Camera, est ainsi un lit recouvert d’une nuée d’objets, de formes qui sont également autant d’obstacles à la possibilité de s’y allonger, d’y laisser cours à sa propre rêverie pour voir ses rêves forcés. L’onirisme dépasse alors le cadre de la psyché pour affirmer sa volonté d’embrasser tous les aspects du réel, de fétichiser la vie autant que de la parsemer de ses propres visions. L’exposer en quelque sorte, voire l’imposer au vu et au su de tous pour troubler le regard. Un jeu de miroir renforcé par la présence d’un spot qui évoque le plateau d’un tournage, cette lumière artificielle auprès de laquelle se sont brûlés tant de rêves dans cet Hollywood qui l’inspire, touchant à ces vies qu’on a laissé se perdre d’avance dans un combat à rendre fou. En cela, le féminin déborde ici le simple romantisme pour se faire outil de questionnement du politique. Dépeuplés, ces décors ont avalé les personnalités qui les ont habités pour ne conserver que les accessoires, reliques muettes d’une souffrance et de traitements que l’apparente beauté, la « coupable luxure » ont rendu silencieux.
Avec une certaine fascination mais non sans distance, Lucile Littot parvient ici, à force d’excès, d’investissement et de joie, à faire émerger un romantisme conscient de sa démence qui s’abreuverait de la déchéance, de sa propre implosion pour tenter de pénétrer d’autres territoires ; une forme de monstruosité qui inventerait son corps à travers tous ces déchirements. Un corps perclus de contradictions qu’elle endosse pour tenter de renouveler, pour de bon, l’expérience du tragique.