Thomas Hirschhorn — Palais de Tokyo
Avec Flamme éternelle, visible jusqu’au 23 juin au Palais de Tokyo, Thomas Hirschhorn poursuit sa réflexion sur les modalités d’un vivre et d’un être ensemble porté par un désir vivifiant de donner à ses interventions une énergie nouvelle et une véritable urgence.
Il y a 10 ans, Michel Foucault était honoré par Hirschhorn au Palais de Tokyo. Dans le monde d’alors, Internet était loin d’être accessible depuis son téléphone, les textes des plus grands livres du siècle loin d’être à portée de main, 24h/24. 24h Foucault, c’est précisément ce que proposait alors Thomas Hirschhorn lors de ce projet qui accompagnait l’une des premières itérations de la Nuit blanche, ancrant au sein du Palais un amphithéâtre de fortune, assorti d’outils pédagogiques formidables. Bravant alors toute prudence en matière de ©, Thomas Hirschhorn exposait une bibliothèque remplie de photocopies en libre accès, démocratisant par là une pensée qui avait toujours voulu casser ses frontières. De Deleuze (à qui l’artiste consacra un monument en 2000) à Foucault, du cortège de l’observatoire des prisons à la jungle bigarrée des amphithéâtres de Paris 8 Vincennes, de l’histoire de l’art au surf, la pensée française s’émancipait, sans la sacrifier, de la culture bourgeoise pour lui opposer une culture du partage, de l’opposition, de la lutte et de l’invention. Une culture de la différence, du singulier tout autant que de l’échange qui aura marqué Hirschhorn au point que cette Flamme éternelle nous rappelle aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux et de la communication numérique ce que l’expérience physique de la rencontre, de l’observation et de la création contenait, et contient toujours, de révolutionnaire.
Car c’est une véritable expérience des sens qui se joue ici, un territoire esthétique et conceptuel tangible dans lequel s’installer, créer, partager ou tout simplement flâner ressort de la participation active. À mi-chemin entre l’œuvre monumentale, le design et l’architecture, Flamme éternelle est pensée comme autant d’espaces d’activité libres d’accès qui sont, un coin Internet avec des ordinateurs, un salon de projection avec sa DVDthèque, une bibliothèque de livres, des bombes, rouleaux de scotch et parois prêtes à accueillir les œuvres et messages de ses visiteurs ; autant de satellites autour d’une agora centrale où l’on partage un verre. Jouant à plein de son matériau de prédilection, le scotch, Thomas Hirschhorn réussit d’emblée un coup formel d’envergure ; enrubannés, recouverts de ce plastique marron translucide, chaque élément de cet univers perd ses angles droits, ses arêtes tranchantes, et des canapés aux micros, tout semble participer d’un même organisme qui se ferait fil conducteur d’une pensée en acte. Au son des lectures d’intervenants, des discussions de visiteurs, des odeurs de bombes de peintures autant que de plastique, Flamme éternelle constitue un véritable univers qui, s’il n’était réalisé là, sous nos yeux, ressortirait de la pure utopie.
Malgré l’absence de thématique fondamentale accordée à cette Flamme éternelle, l’explosivité et l’inventivité de son aménagement intègrent parfaitement la dimension politique, dimension dont Hirschhorn n’a jamais cessé de repenser les frontières. Dense et engagée, si sa Flamme éternelle risque de diviser, c’est qu’elle parvient à rendre tangible le génie brut d’une pensée de l’invitation sans se noyer sous le didactisme et la pédagogie. L’invitation en jeu ici, c’est pouvoir soi-même, en sa propre qualité de « n’importe qui », s’inscrire dans une œuvre commune.
Alors cette « Flamme éternelle » trouve peut-être sa raison dans cet attachement vivace que l’on garde à la pensée et à la création ; quels que soient leurs moyens de diffusion, quels que soient leurs moyens de production, elles continuent de rayonner et brûleront aussi longtemps qu’elles seront alimentés des regards et de l’attention des autres, de n’importe qui.