Violaine Lochu — Cac La Traverse, Alfortville
Le Cac La Traverse d’Alfortville, en recevant depuis le 1er octobre l’artiste Violaine Lochu offre une exposition qui fait de l’absence et de la distance une invitation à s’immerger dans la manière d’habiter des autres.
« Modular K — Violaine Lochu », CAC La Traverse, Centre d'art contemporain d'Alfortville du 1 octobre au 21 novembre 2020. En savoir plus Un but avoué de trouver l’articulation entre installation sonore et performance plastique, d’opérer une synthèse entre ces deux médiums que les circonstances l’ont amenée à percevoir comme deux champs d’action différents en fonction des attentes d’organisations artistiques successives. Une synthèse à l’œuvre dans la problématique même de ce projet Modular K qui fait, lui, cohabiter les temporalités ; d’un événement passé au sein de l’espace impliquant la présence et la performance de danseurs, l’artiste tente de mettre en scène le souvenir pour offrir une chorégraphie de la « trace », le parcours du spectateur, investissant successivement les pièces du centre comme autant de tableau, servant de fil au déroulé d’un spectacle à reconstruire.S’appuyant sur l’annonce du premier confinement comme élément principal du « présent » qui rejoint l’histoire de la fiction d’anticipation, Violaine Lochu concentre réactions spontanées et stratégies d’adaptation ; l’architecture, forcément, tient un rôle majeur en ce sens qu’il s’était agi pour l’artiste d’aménager un espace dans lequel la vie a pu s’organiser.
La salle principale, devenue ici salle de réunion est pourvue d’un grand tapis confortable, comme pour soutenir chacun des protagonistes de l’action initiale dans ses activités de récolement de la parole ; le spectateur est confronté ici à la succession de témoignages inquiets face aux annonces du confinement organisé face à l’épidémie du virus Covid en France. Sans prononcer le mot, chacun partage, dans différentes langues, une même sidération face aux événements successifs, cherchant à y déceler un ordre, une forme de causalité propre à permettre la compréhension de la situation. Au centre de la pièce, la trace écrite prolonge la possibilité de leur inscription dans le temps, un premier paradoxe tant la progression des évènements aura radicalement modifié la perception de notre propre liberté et, par conséquent, la formulation même de nos émotions.
Parallèlement à l’installation, le film relatant l’essentiel de cet épisode à l’origine de Modular K présente le centre tel qu’il aurait été habité. Empêtrés dans des couvertures de survie, le réveil et leur extirpation a des airs d’odyssée, renforcée par le bruit du ressac de ces sacs de vivants. Les personnages se confrontent alors à leur environnement, s’y mouvant en silence et faisant de leurs corps les pièces modulaires justifiant les différentes configurations de l’espace d’exposition rendu à sa pure fonctionnalité. Entre recherche d’efficacité, agencement d’activités essentielles (dormir, travailler, dessiner, s’alimenter), chacun, à travers l’autre, trouve l’opportunité d’une solitude prolongée que la mise en commun des tâches ne fait que souligner. Plongés dans l’obscurité, équipés d’un casque et d’une lampe frontale, tous se mettent à écrire et s’appliquent à répéter méthodiquement les gestes d’un ordre secret.
Un ordre qui confine au chaos avec l’activité de restauration ; manger devient ici un rituel animal qui fait se mélanger les couleurs et débouche sur une implication de toutes la surface des corps, devenus réceptacles à matières liquides. Les codes de couleurs (rose, bleu) s’étalent sur les corps et font écho aux accessoires qui donnent une véritable identité visuelle, une réalité plastique à ce confinement dont l’organisation pourrait presque apparaître comme une manière de le comprendre, d’en déjouer la sidération pour se protéger d’un de ses effets pervers ; l’inconnu et l’incertitude, qui ne troublent plus ici un rituel qui les extériorise.
Dans la troisième salle, le rose sature la vision et influence véritablement notre perception de la réalité, bouleversant le contraste de notre vision. Présentée comme le lieu de repos des personnages, elle diffuse dans les casques un ensemble de témoignages qui, s’il s’inscrit dans la narration, nous aura paru légèrement briser la cohérence de cette plongée dans un monde alternatif où les rapports entre les êtres s’opèrent par gestes, présence et chaleur. Cette intégration d’une parole d’opinion sans intérêt d’observateurs s’engageant sur un sujet qu’ils n’ont pas travaillé parait assez abrupte face à la dynamique éthérée et l’appréhension volontairement parallèle de l’événement par les premières salles de l’exposition. On peut alors se plaire à penser ce moment proprement comme une nouvelle alternative, celle de ces membres d’un équipage solitaire dans le secret de leur nuit, seul lien vers le monde « d’avant » réduit à l’intimité du sommeil, à la vie des rêves.
Les questions successives, formulées dans la dernière salle par une voix automatisée et laissées sans autre réponse que celle que l’on voudra bien leur apporter sonnent alors comme les derniers stigmates d’une illusion d’un soi capable de maîtriser le monde extérieur et semblent engager à repenser définitivement notre rapport à l’inconnu.
Un trouble qui n’empêche pas Modular K d’offrir une expérience passionnante à travers un mouvement de fuite radical capable, face à la sidération, de moduler à nouveau le monde à l’image des fonctions qu’un ordre nouveau appelle à « occuper » et de rituels qu’il reste à inventer.