Yan Pei-Ming — Bouquet de fleurs pour les morts
A l’occasion de son exposition personnelle à la galerie Thaddaeus Ropac, Slash se penche sur une œuvre du peintre Yan Pei-Ming, Bouquet de fleurs pour les morts, pour proposer un voyage inédit dans les méandres de la toile.
D’une peinture qui coule, s’échappe et se fige dans sa fuite, l’artiste semble rompre avec sa démarche de re-production des images. Dans la contraction du format de ce Bouquet de fleurs pour les morts (100 × 100cm), la peinture s’accumule, s’amoncelle et vient contrecarrer le rythme scandé par ses œuvres précédentes. Rupture du temps, mais aussi de l’espace, cette mise en scène projette loin du « monde du spectacle » et de la médiatisation ; lorsque l’accumulation de visages, de regards et d’expressions semblait tendre, dans sa peinture, à l’idéal d’une quête de l’essence humaine, ce tableau, dénué de toute vie peut pourtant apparaître comme une synthèse de l’humanité. Parenthèse, ou peut-être image subliminale à insérer dans le flot de ses œuvres, Yan Pei-Ming réalise ici un portrait vibrant de notre propre angoisse, celle, irréconciliable, de la fatalité et de la fascination. Une transition qui tire toute sa valeur de la radicalité même du thème choisi, la vanité.
C’est au plus près du tableau, dans le jeu de lignes et de volumes que matérialise la peinture, que se dévoile la langue de son œuvre. Dans cette image, rien n’est immobile, tout répond à une dynamique de lutte, de mouvements contradictoires, jusque dans la matière même de la peinture. Une géographie pareille à un torrent, une mer déchaînée qui semble charrier l’écume initiale de la couleur. Noir sur noir, sur noir. Et blanc. Difficile de parler de vanité pour un peintre dont le moindre coup de pinceau est pareil à une explosion, où la dynamique de la vie, de sa contradiction et de sa nécessité, irrigue chaque recoin de la toile.
De la lutte « bichromique » initiale émerge ainsi un océan de nuances, un foisonnement qui prolonge, comme en trompe-l’œil cette mise en scène de la mort. Inquiète, sa peinture semble de plus en plus portée à insérer çà et là ces fameuses têtes de mort, reflets pervers de la relativité de toute chose. Mais ici, rien de fataliste. Même si du crâne sombre, ce sont des fleurs coupées de leurs racines, dont la vie n’est plus qu’apparente qui surgissent. Yan Pei-Ming fige les formes pour imposer sa propre représentation, radicale ; que les fleurs aient déjà basculé dans la mort n’y change rien, sa peinture en a capturé le cours au plus fort de leur existence. Si la peinture peut s’attacher à figer le mouvement, celle de Yan Pei-Ming prouve que rien ne peut mieux en rendre l’essence. Du thème classique de la vanité s’échappe ainsi un parfum de passion et de vitalité qui court-circuite avec virtuosité la tonalité dramatique du tableau. Plutôt donc que de conjurer la mort, Bouquet de fleurs pour les morts semble en détourner l’objet, s’approprier la crainte qu’elle inspire pour la lui opposer, et rappeler avec d’autant plus de force que, si la mort est implacable, c’est au prix d’une lutte acharnée que la vie peut se gagner.