Anarchéologie — Centre Pompidou
Dans le cadre de ses expositions prospectives, le Centre Pompidou présente jusqu’au 11 septembre Anarchéologie, une nouvelle proposition réussie à la croisée des disciplines qui invite des artistes aux médiums divers (vidéo, sculpture, installation et performance) à dialoguer autour de la question de l’archéologie.
« Anarchéologie », Centre Georges Pompidou du 15 juin au 11 septembre 2017. En savoir plus Placée sous le signe de la pensée foucaldienne, Anarchéologie, néologisme emprunté au philosophe qui entendait par là convoquer une pensée émancipée des pouvoirs constitués de l’histoire, de la mythologie et de la politique pour se confronter aux faits et développer un savoir capable de s’émanciper des cadres traditionnels, pour ne pas dire officiels. Au long d’une courte mais dense exposition aussi originale que pointue et inventive, Anarchéologie offre une lecture contemporaine, artistique et problématisée de la pratique et de l’usage de l’archéologie dans nos sociétés en soulignant notamment ses liens privilégiés avec la fabrication, à rebours, d’une identité univoque qu’elle viendrait confirmer.Parmi les artistes présentés qui concourent tous, à leur manière, à une réflexion d’ampleur sur leur sujet, Christodoulos Panayiotou détourne l’exploitation politique de l’archéologie sur son île de Chypre, servant les enjeux d’une indépendance du pouvoir vis-à-vis de son voisin turc au long d’installations qui, entre autres choses, réactivent les pratiques ancestrales pour les réimplanter au sein du musée. Une démarche mise en perspective par les œuvres d’Oliver Laric qui, lui, reproduit à l’aide de modèles en trois dimensions d’œuvres anciennes parmi lesquelles des cadeaux diplomatiques en questionnant la notion de droit d’auteur et de possession du patrimoine. Amina Menia nous livre une enquête passionnante autour du monument aux Morts de la ville d’Alger qui fut recouvert, par un artiste de la génération suivante d’une sorte de sarcophage. Revenant sur les implications de ce geste, Amina Menia interroge les conditions de monstration et la responsabilité de l’art dans l’espace public quand tant d’enjeux politiques et sociaux parcourent le territoire urbain. Jumana Manna, que l’on retrouvera en novembre prochain dans une exposition à la Maison d’art Bernard Anthonioz de Nogent-sur-Marne confronte quant à elle le culte de la virilité à la mode chez certains jeunes Palestiniens dans une vidéo qui jouxte des membres (biceps, coude, pouce) maximisés aux allures de morceaux de sculptures exhumés du sol mythologique d’Israël. Une mise en parallèle de deux histoires qui s’opposent et révèlent leur distance malgré la proximité géographique. Ici, la sensualité côtoie la sexualisation et l’absurde de membres isolés la formidable richesse d’un sol qui aura façonné tant d’histoires et continue d’être un enjeu pour les civilisations à venir.
À travers ces artistes nés entre 1967 et 1987 émerge un même désir de mise en lumière des enjeux de l’art dans notre histoire, des risques qui le menacent mais aussi des possibilités que son exhumation nous livrent. Chaque démarche questionne ainsi le rapport de nos sociétés à leur propre histoire et prolonge cette volonté foucaldienne d’un mélange des savoirs et des approches pour mettre en question un dogmatisme « acté » qu’il nous appartient de ne pas laisser devenir mythologie d’une nouvelle ère.
On ne peut que saluer cette démarche du musée qui, à travers sa galerie 0, insiste sur la nécessaire filiation des pratiques de la pensée contemporaine avec les arts plastiques et offre, avec une belle implication, un espace de réflexion fructueux et loin de la thématique comme justification artificielle. Le Centre Pompidou pense ici avec tous les artistes d’aujourd’hui des problématiques sociales et historiques et parvient avec une belle simplicité à faire fructifier ces échanges.