Autophoto — Fondation Cartier
Le 20 avril s’ouvre l’exposition Autophoto à la Fondation Cartier, une présentation qui organise la rencontre entre deux inventions qui ont bouleversé notre rapport à l’espace. Une confrontation ambitieuse qui dresse un panorama de nos modes de vie et de notre regard sur les cent dernières années.
« Autophoto — Une exploration des relations entre la photographie et l’automobile, de 1900 à nos jours », Fondation Cartier pour l’art contemporain du 20 avril au 24 septembre 2017. En savoir plus Très dense avec près de 450 œuvres, l’exposition nous guide dans des sillons aussi délicieux que réflexifs sur la liberté inhérente au mouvement tout autant qu’elle pointe la transformation du paysage et la dépendance de nos sociétés à un véhicule qui, tout en se démocratisant, devient un marqueur social et le symbole d’une époque. Une réflexion équilibrée et juste qui témoigne des mutations d’une ère qui a d’emblée compris que la mobilité serait au cœur de ses préoccupations.Dans une ambiance intimiste réussie, Autophoto met ainsi à l’honneur les pionniers de la photographie Brassaï, Robert Doisneau et Germaine Krull avec des clichés merveilleux où chacun apprivoise cette machine qui file dans la nuit ou s’entasse dans les faubourgs urbains, devenant une source de lumière mobile qui modifie notre perception même de la ville. D’objet, l’automobile a tôt fait de devenir sujet et la section annexe autour des portraits de propriétaires de véhicules souligne sa valeur presque identitaire. Marqueur social, elle trône, décor peint dans les portraits de famille de la Chine des années 50, en décor idéal chez Seydou Keïta ou encore en indice spatio-temporel dans l’Allemagne anonyme de Bernhard Fuchs. Avec William Eggleston, la voiture devient cadre de vie, révélant l’automobile comme prolongement de l’habitat, comme intimité dont le pare-brise définirait le contour du théâtre à observer.
Images de tableau de bord, romantisme de la route et d’un mouvement indépendant face au corps illusoirement immobile. Le voyage en voiture, ses images-paysages qui impriment immédiatement l’inconscient collectif, le mythe américain d’une vie sur la route. Si la fantastique série de Lee Friedlander se compose comme une ode au rétroviseur, cet élément caractéristique de l’industrie automobile qui accueille un horizon mouvant que l’on ne cesse de dépasser. Le monde devient spectacle que l’on observe ainsi, au rythme imprimé par la seule volonté du corps. Figée par la photographie, la vitesse est insensible et l’instant se révèle toujours décisif et forcément unique. De grands noms tels que Robert Frank, Andreas Gursky, Joel Meyerowitz ou Daido Moriyama séduisent toujours et participent de la pertinence des choix menés par les commissaires de l’exposition Xavier Barral et Philippe Séclier. Des routes, vides ou pleines, grises et planes qui bouleversent les paysages et constituent le terrain de jeu idéal d’une photographie en noir et blanc qui offre une relecture de la ville ; Walker Evans tire, des multiples indications qui parsèment la route, un vocabulaire de signes, véritable langage universel que l’on déchiffre dans la nuit de ses polaroïds. Objet d’attention ou atelier mobile, la voiture, ce véhicule qui se meut par lui-même, partage ainsi avec l’essor de la photographie, presque contemporaine comme en témoigne l’instructive chronologie croisée de ces deux inventions de l’ère industrielle proposée par la fondation.
Mais plus encore, cette section très réussie invite à sillonner des œuvres fortes tout en laissant apparaître cette mutation de l’espace géographique en terrain de jeu pour conducteur automobile. Certes, l’humain façonne depuis la constitution de sociétés des routes, creusant, arasant la terre ou inventant des ponts pour traverser les vides mais l’explosion industrielle du véhicule particulier et l’attractivité du béton façonnent le nouveau visage de la planète. Fascination et vertige avec la magnificence de ces paysages motorisés, repensés pour l’usage que l’on en ferait, quitte à remodeler intégralement la ville à l’image de l’échangeur d’une rare complexité et d’une terrible beauté capturé par l’objectif d’Edward Burtynsky ou dans le superbe polyptyque en vue aérienne d’Ed Ruscha. Notons également la très séduisante série de Ray K. Metzker qui, à travers des détails d’architecture, touche au cœur l’esthétique de cette ville moderne. Mais cette multitude de routes constitue aussi une déflagration de l’histoire avec les incroyables transformations de Naples qu’oppose Sue Barr à l’histoire romantique de la cité et son inscription sur le parcours du mythique Grand Tour.
Un questionnement que la seconde partie de l’exposition va formaliser. Derrière la fascination pour la voiture, la multitude de dangers qui émaillent son industrie est soulignée par ce qu’elle rejette et l’urgence, à travers le projet Turtle 1, d’une politique active de mise à l’index de la course à la croissance et la possibilité d’une entreprise de recyclage. Ces questions sont ainsi l’objet d’un parcours plus linéaire en sous-sol, malheureusement moins équilibré et moins argumenté qui s’attaque aux liens entre voiture et société. Certains travaux n’en sont pour autant pas moins passionnants à l’image des expérimentations d’Alain Bublex, de la série de moteurs d’une complexité « organique » de Valérie Belin ou encore l’installation de Jacqueline Hassink autour de la place effroyable de la figure féminine dans les salons automobiles.
Malgré donc cette fin de parcours en demi-teinte, le voyage Autophoto à l’assaut d’un monde tantôt rugissant, tantôt naturaliste et tantôt angoissant est plus qu’agréable. Si le parti-pris du tout photo rend cette présentation de haute tenue bien sage, son ouverture et sa confrontation aux apories d’une industrie que rien ne semble freiner garantit un ensemble cohérent qui s’empare de notre rapport, forcément polymorphe à cet instrument devenu véritable fétiche.