Béatrice Balcou — La Ferme du Buisson
Pour la venue de Béatrice Balcou (1976) à la Ferme du Buisson jusqu’au 10 février, le centre d’art se fait « chashitsu », ces petites maisons japonaises destinées à recevoir les traditionnelles cérémonies du thé. Malgré le climat zen qui se dégage des pièces de Béatrice Balcou, pas de métamorphose du lieu : l’espace d’exposition reste « white cube » dans son épure la plus simple et accueille en toute neutralité les œuvres minimalistes de l’artiste française.
« Béatrice Balcou — L’économie des apostrophes », La Ferme du Buisson, Centre d’art contemporain du 11 novembre 2018 au 10 février 2019. En savoir plus La matière conceptuelle et le lexique plastique de Béatrice Balcou sont ceux de l’exposition. Elle s’amuse, au gré des invitations et en conjuguant sculpture, performance et installation, à recréer des rituels d’exposition qui « interrogent notre manière de regarder et de percevoir les objets ». Cet objectif prend plusieurs formes : une « cérémonie » conçue pour la caméra (Tozai, 2018) où les œuvres sont déballées par plusieurs personnes, une œuvre à activer par le public (Transformer, 2018) et enfin, des sculptures en bois qui constituent le corps de l’exposition.Disséminées dans les six différents espaces du centre d’art, les œuvres de Béatrice Balcou sont autant d’éléments d’un protocole rigide, d’une cartographie millimétrée qu’il faut prendre le temps1 de déchiffrer. Ici et là, les visiteurs découvrent notamment les « œuvres placebo » ; des répliques en bois de travaux d’autres artistes. De Théophile Narcisse Chauvel à Ann Veronica Janssens, l’artiste s’accapare des œuvres qu’elle reproduit en bois brut, effaçant ainsi les images et les matériaux originaux pour bâtir une silhouette. Ce protocole de distillation, dont résultent des sculptures à la facture presque industrielle, semble tenter — comme on infuse du thé — de cueillir l’essence de gestes, d’idées, de relations inhérentes à l’art.
En définitive, après toutes les étapes de cette reconstitution, qui fait de l’art son glossaire, sur quoi nous arrêtons-nous ? Une réflexion sur la « consommation “touristique” des biens culturels » est soulevée par l’attention que l’artiste nous demande d’avoir, mais persiste le sentiment d’être évincé d’un processus qui dit vouloir nous inclure. L’enveloppe hermétique de ce travail — la convocation autoréférentielle du monde de l’art, la schématisation de ses formes, la théâtralisation du geste (Tozai) — crée une mise à distance, physique et mentale, de l’observateur. Ces « œuvres placebo » deviennent finalement les symboles d’une volonté de recycler, mais qui témoigne également d’un repli de l’art sur lui-même. Au sein du groupe d’ « œuvres placebo », des boîtes en cartons sont accumulées au sol sans que nous ayons la possibilité d’en découvrir le contenu, ni d’assister au rituel de déballage mis en place par Béatrice Balcou (sortir l’œuvre de la boîte — la contempler — la remettre dans la boîte).
De tout l’aspect performatif ou évolutif énoncé par les programmes, seule la vidéo Tozai offre la possibilité de voir « s’activer » cet envers du décors dont on nous parle tant ; c’est-à-dire la manipulation précieuse et lente d’œuvres sorties de leur boîte. Exposer un travail aussi gestuel que celui de Béatrice Balcou sur les modalités scénographiques et logistiques des arts plastiques est un pari fragile : l’exposition nous laisse frustrés par une suite d’œuvres camouflées qui ne semblent vivre qu’avec le cartel qui les accompagne. C’est peut-être là où le didactisme de l’art conceptuel trouve ses limites, quand il veut impliquer son spectateur, être généreux ou accessible.
Le visiteur déambule finalement devant un paysage figé et autonome de formes imperméables sur lesquelles son regard glisse. Pour choisir le jour de sa visite, mieux vaut guetter les dates de performance : rendez-vous le samedi 9 février 2019 à 15h en présence de l’artiste donc.
1 Béatrice Balcou porte une attention spéciale à l’orchestration de la découverte du visiteur et le dirige vers une appréhension silencieuse et patiente de l’objet d’art.
Samedi 9 février 2019 / 15h — Béatrice Balcou, Cérémonie Sans Titre #14 — Entrée libre sur réservation dans la limite des places disponibles.