Ben Thorp Brown — Jeu de Paume
Pour ce projet présenté au Jeu de Paume jusqu’au 22 septembre, Ben Thorp Brown répond à l’invitation de Laura Herman à penser l’architecture en explorant précisément les liens qui l’unissent à la psychologie.
« Ben Thorp Brown — L’Arcadia Center — Satellite 12 », Jeu de Paume, Concorde du 18 juin au 22 septembre 2019. En savoir plus Dans ce cycle consacré à un « nouveau sanctuaire », initié par la dystopie de Julie Béna au printemps dernier ( lire la critique de Julie Béna ), Ben Thorp Brown déploie à son tour une invention radicale, L’Arcadia Center, qui donne son titre à l’exposition, une institution imaginaire aux accents futuristes qui a pour but de nous enseigner l’empathie. Un thème cher à cet artiste né en 1983 qui, dans un précédent projet, explorait les espaces vides d’un des premiers bâtiments conçus par Walter Gropius, figure du Bauhaus, nous invitant à une promenade visuelle méditative autour des enjeux d’espace de création (Gropius Memory Palace, 2017). Le lieu lui-même faisant figure de projet réflexif favorisant l’émergence de la pensée, le miroir qu’il nous tend fait résonner les enjeux créatifs de notre rapport au monde en convoquant les liens qui unissent perception, mémoire et histoire. En cela, comme dans toute son œuvre, c’est alors au travers de l’impensé, du silence et du décalage qu’il fait émerger l’idée, dans le frottement d’une apparente neutralité qui se voit chargée de nouvelles perspectives. Par l’apport, ici, d’une narration qui appelle à prendre en considération un autre regard.Accompagné par une voix féminine nous encourageant à ressentir notre propre corps et s’inspirant en cela des travaux d’Helen Riess, qui forme des médecins et infirmiers à l’empathie envers leurs patients, le visiteur est invité à pénétrer un espace où ses perceptions et sa capacité à imaginer vont être mises à contribution. Toutes les cinq minutes, un exercice pratique, bien que solitaire, nous enjoint à considérer « l’autre » comme un « soi ». Au-delà de sa caricature, cette empathie se formalise dans une prise en compte de la nature qui intègre une dimension de perception et de ressenti qui n’est pas sans trouver de résonances avec les excès de sa « domestication ». Tout fait ici figure de métaphore, mélangeant technologie et nature première ; la lumière de l’écran plat vient se refléter dans le verre soufflé d’un vase, le visiteur s’installe sur des sections de troncs d’arbres gravés d’une devise latine découpés en prismes hexagonaux et, face aux plantes dites de Jéricho, espèces capables de survivre dans des climats extrêmes, c’est encore de notre condition qu’il est question, en ce qu’elle mobilise les ressources de la nature et de l’invention.
La vidéo présentée dans la seconde partie de l’exposition pousse cette métaphore plus loin en offrant une lente déambulation dans une maison californienne imaginée par l’architecte Neutra, lui-même très influencé par les travaux de Freud, qui tente dans ses constructions de ménager une place de choix à la nature. Si la convocation d’un passé mythique évoquant une ère de partage et d’empathie entre les hommes qu’il suffirait de retrouver peut surprendre dans un premier temps, la vidéo déjoue toutes les problématiques en décalant le propos et en le confiant à une tortue qui se fait narratrice d’une chanson languissante autour de l’évolution de notre rapport au monde. Accusant directement les humains, sa complainte devient une prosopopée pour une nouvelle odyssée et, elle qui porte l’architecture sur son propre corps, nous enjoint à construire nos vies comme l’architecture a construit nos corps.
Au final, Ben Thorp Brown propose une réflexion pertinente et subtilement décalée qui, au-delà de quelques raccourcis et symboles légèrement appuyés, fait résonner avec acuité des problématiques contemporaines du soin et de l’attention en y soulignant des enjeux presque métaphysiques qui restent pourtant ancrés dans la pure expérience. Un tour de force loin d’être négligeable qui module à sa façon une question urgente et nécessaire.