Bill Viola — Grand Palais
L’abandon et la totale immersion qu’exige l’œuvre de Bill Viola représentent certainement l’un des défis les plus intéressants relevés ces dernières années par les galeries nationales du Grand Palais, institution qui présente ici sa première rétrospective d’un artiste vidéaste. Une plongée maîtrisée au cœur de cet univers qui donne à l’exposition un air de voyage intérieur.
« Bill Viola », Les Galeries nationales du Grand Palais du 5 mars au 21 juillet 2014. En savoir plus Car faire face à Bill Viola, c’est se confronter à un étrange magicien dont la science du mouvement est précisément de nous montrer ce qu’on n’y voit pas, de faire de l’image animée un indice de notre perception temporelle. Loin de se borner à capter le mouvement, la caméra explique en même temps qu’elle le démontre son principe sous-jacent et son incidence sur notre monde. Difficile d’être plus explicite pour un artiste qui définit sa pratique par ces mots : « sculpter du temps ».L’une des premières pièces représente peut-être le choix le plus éloquent de cette exposition. Nine Attempts to Achieve Immortality, où l’on voit l’artiste tenter neuf apnées face caméra annonce un parcours saisissant, où tout se passe sur le fil. Dans ses yeux se devine la trace de détresse du manque d’air ; de même que le souffle, le temps du « regardeur » est alors suspendu à l’incertitude, la terrible pesanteur de l’attente et la perception concrète du passage du temps comme une possibilité de passage d’état. Car il y a, dans l’œuvre de Bill Viola, une incessante volonté de repousser la fin, cette immortalité achevée dans la multiplication de boucles, dans le recommencement magique de la séquence dès l’annonce de sa résolution. Le temps s’étire, l’espace aussi avec cette longue marche incessante de personnages à travers un panorama fait de plans accolés les uns aux autres (Going Forth By Day) ou encore ces images projetées sur une succession de voiles, multipliant autant qu’ils les perturbent, les signaux envoyés par les projecteurs. Jusqu’à faire de ceux-ci des chocs de matières indéfinies, des accidents de l’espace .
À travers les expérimentations de l’artiste, à travers ses références à un art immortel (le très beau Quintet of The Astonished, qui reprend à la tradition picturale ses éclairages et ses ambiguïtés en présentant cinq personnages mimant une émotion outrée au ralenti) point comme une évidence une l’angoisse qui étreint tous les hommes, celle d’être au monde. Dans cette multiplication d’attitudes, de postures apparemment sans objet, de précipitations sans raison, l’univers de Bill Viola se dessine comme une tentative de capturer ce qu’il peut d’un monde qui ne s’arrête jamais d’être en mouvement. Et quand il n’accompagne pas ce mouvement, l’artiste s’y oppose et crée, avec Tristan et Fire Woman deux pièces magnifiques qui viennent contrecarrer les forces de ce même monde. Quand la première fait se soulever l’eau et son protagoniste à l’encontre de la force de pesanteur, la seconde orchestre la rencontre de deux éléments opposés, le feu et l’eau dans un déchaînement de force sourde. La pluie ne tombe plus, elle s’élève ; le feu, lui, cache en son sein une source d’eau salvatrice. Très efficaces, ces deux pièces constituent l’apogée d’une exposition dont le symbolisme ne vient pas perturber la belle impression d’ensemble et de cohérence.
Derrière les envolées spirituelles et la symbolique omniprésente, c’est à une expérience bien concrète que nous confronte Bill Viola, celle du temps présent, celui-là même qui est à l’œuvre dans le regard. Sous nos yeux, les images ne se succèdent pas, elles se forment, les couleurs s’emmêlent, se rencontrent et, des procédés à l’œuvre dans les vidéos de l’artiste émergent une pléiade de détails explosifs, motifs minuscules qui font se rencontrer matières, couleurs et formes. La contemplation et l’apparente lenteur cachent alors une infinité de révolutions. Une belle simplicité qui retourne les évidences ; l’artifice devient feu d’artifice.
Jeux de rythme et de lumière, la vingtaine de pièces s’accorde en un ensemble de contrastes, de langueurs et d’accélérations qui dessine une temporalité secrète aussi mystique qu’universelle ; celle de la subjectivité.