Claude Closky — Galerie Salle Principale
La galerie Salle Principale accueille jusqu’au 20 juillet Claude Closky pour un projet spécial réalisé in situ. Combinant une installation frontale en vitrine, visible en journée jusqu’à minuit et une série de dessins minimalistes, l’artiste offre avec Direct Messages une plongée en deux temps au cœur des soubresauts modernes de la communication.
« Direct messages — Claude Closky », Salle Principale — la galerie du 16 mai au 20 juillet 2019. En savoir plus Depuis la rue, on aperçoit quatre smartphones affichant chacun un chiffre tandis qu’un cinquième, central, laisse clignoter deux points. S’emparant du motif de l’installation artistique dans l’espace public, Closky invente une horloge monumentale qui force le mouvement. Sur le trottoir comme une fois entré dans la galerie, il apparaît presque impossible d’embrasser la totalité de l’œuvre et l’assimilation, pourtant évidente, de l’heure, s’opère elle-même dans la durée, dans le parcours des quelques mètres qui les séparent et isolent, de fait, chaque chiffre dans une logique qui lui semble singulière. Plus encore, ces chiffres affichés sont eux-mêmes parasités par l’apparition de smileys les recouvrant selon un rythme à la logique secrète, issue d’un programme de dialogue conçu par l’artiste qui les autorise à s’échanger ces symboles de la communication contemporaine.Dans le texte qui accompagne l’exposition, six paragraphes déconstruisent les enjeux de la communication à l’ère digitale développant, avec une froideur objective, six notions ramenées à leur fonctionnalité dans ce contexte. Analyse du signe, de l’acte de partage et de l’échange intentionnel, cette variation autour des « Direct Messages » tels qu’ils se développent dans le champ de l’industrie publicitaire renvoie in fine, à la pratique initiale de l’écriture, à l’inscription dans l’espace de symboles dont la combinaison, obéissant à une convention partagée, propose un contenu de sens. C’est ainsi l’information qu’il propose, son origine et sa finalité qui en définit la nature, en détermine la pertinence. Un écho direct au contexte d’intervention de l’artiste qui, dans l’espace de la galerie, s’adresse également à un « public » qualifiable par les professionnels de la communication de « captif » dès lors qu’il en pousse la porte et pénètre le seuil.
Captif ; un devenir nécessaire du visiteur qui souhaitera connaître plus que « l’heure qu’il est » derrière cette horloge monumentale, observant attentivement ces écrans dont les fils électriques semblent moins les lier que les programmes sous-jacents qui les animent. Une attention aussi chronophage que vaine pour tenter de déchiffrer ces échanges de signes entre des terminaux numériques qui « profitent » de notre inattention pour élaborer un dialogue aussi minimaliste qu’obscur. Activant ici la question de l’autonomie des machines, l’intervention de Claude Closky laisse l’être humain désemparé face à ce dialogue issu pourtant de sa propre réduction du langage, de l’échange écrit à la polysémie d’un signe qui, dans ce contexte, devient ésotérique et lui échappe. Généré par une intelligence dont il ne sait si elle est programmée ou réactive, l’échange introduit un doute fondamental et, de « cible » potentielle des lois du marketing ayant inventé ces outils, le visiteur se fait victime de son incapacité à appréhender ce qui se joue face à lui, sous couvert de signes « mignons » et sympathiques.
Comme un contrepoint organique à l’irruption de l’économie du numérique, aux problématiques qu’elle charrie et à sa prédominance dans notre conception même du langage et de la communication, le revers de la cimaise accueillant Direct Messages présente l’installation Suspendu, dix dessins suspendus à une corde. Réalisés au stylo bille, ils présentent à leur tour des signes abstraits renforcés par les passages successifs de la bille sur le fond blanc. On entre ici dans un horizon certes manuscrit mais qui apparaît presque automatique, visions de symboles portés, au sein-même de la feuille, par une ligne droite qui répète l’horizon de la corde pour offrir un cadre de composition structuré qui défie leur simplicité. La quasi-totalité d’entre eux présente une logique binaire, symétrique ou non, qui explore là aussi la possibilité d’un échange, d’une interaction entre deux moments que la ligne qui les soutient inscrit dans une temporalité dont ils scandent, tout comme les chiffres de l’installation Direct Messages, le rythme.
Avec cette exposition minimaliste et particulièrement sobre, Claude Closky opère une fois de plus dans le champ du signe contemporain une percée qui vient questionner notre mode d’appréhension du sens et en souligne les limites comme les possibilités infinies. Derrière la simplicité et l’absence de toute figure humaine, de toute émotion, c’est bien l’un des traits essentiels de notre condition d’homme ; le plein désir de sens est ici mis à l’épreuve, en négatif, par une répétition subtile du vide.