David Hockney — Galerie Lelong
La galerie Lelong expose les fameux « Ipad Drawings » de David Hockney, une série réalisée en 2011 qui faisait de l’artiste l’un des premiers à adopter la fameuse tablette informatique comme outil d’expression plastique. Un ancrage dans son temps qui ne dépareille pas avec ce peintre qui a toujours su user de la technique pour faire évoluer son art.
« David Hockney — The Arrival of Spring in Woldgate », Galerie Lelong & Co du 21 mai au 24 juillet 2015. En savoir plus Proche des paysages qu’il développe à la fin des années 2000, la quinzaine de vues de la forêt du Yorkshire présentée ici oscille entre une pratique de l’observation minutieuse (David Hockney s’est astreint une saison durant plusieurs mois à une immersion au cœur de la forêt) qui se révèle dans l’ajout subtil de touches colorées reflétant le passage du temps et sa traditionnelle déformation onirique. Les violets, rouges, bleus et ocres explosent littéralement dans cette multitude de vues à l’expressivité foudroyante.Cette adoption d’un nouvel outil de travail, saluée à l’époque comme une preuve de la modernité de David Hockney, n’ayant cessé de se réinventer et capable d’envisager son art comme une constante prise de risque, est d’abord l’occasion d’appréhender le travail d’un peintre détaché de sa pratique traditionnelle. Plus donc qu’un simple gadget, cette méthode de travail révèle un pan essentiel de la création de David Hockney, qui a toujours su se confronter aux nouvelles technologies pour déployer sa création. C’était ainsi le cas dès les années 80 son utilisation des premiers modèles de photocopieurs couleur. Le résultat, une fois encore, apparaît comme la preuve de la qualité première du créateur, son œil et son imaginaire, qui ressortent ici avec une évidence sensible.
Et c’est bien l’atout fondamental de l’adoption par David Hockney d’un tel procédé de création ; la rapidité et l’absence de latence entre l’application d’une couleur et son résultat. De la sorte, l’exposition de ces œuvres digitales imprimées traduit la prolixité du regard de l’artiste capable de capturer, jour après jour, l’évolution de la nature, de ses troncs chenus au fourmillement de sa végétation.
Avec une telle palette de couleurs, réduite mais radicale, David Hockney impose au cœur de la nature un système dont on saisit immédiatement l’étrange cohérence, où l’étonnante simplicité du procédé technique révèle la virtuosité de l’association des teintes (à ce titre, les reflets de flaques d’eau sur les routes humides sont saisissants). Deux formats d’impression invitent ainsi à pénétrer une forêt magnifiée et rendue magique par la vision du peintre, faisant de la série une pièce essentielle de son œuvre. Si l’impression laser sur toiles n’a pas la complexité des contrastes et rapports de couleurs des pigments, la frontalité de ces images et leur arasement numérique sont contrebalancés par l’usage qu’il en fait et particulièrement par le très sensible tracé sinueux du doigt sur la vitre de la tablette. Procédé désormais adopté par une grande majorité des terminaux digitaux, le contact tactile se révèle ici dans sa réalité esthétique ; d’une certaine manière, l’artiste use ouvertement d’une technique que l’on assimile immédiatement et réduit les intermédiaires entre l’œil et la main. Car la tablette numérique, aux proportions sensiblement analogues aux palettes de peintres officiant en plein air fait simultanément office de toile, support rétro-éclairé (à ce titre, l’analyse de Philippe Dagen développée dans le catalogue est passionnante) révélant directement le résultat final. On pense enfin à la curieuse analogie lexicale de la « tablette » numérique avec les tablettes d’argile, témoignages millénaires des civilisations antiques, qui fait se rejoindre ici modernité de la création et histoire des civilisations.
Encore une fois donc, David Hockney prouve l’étendue d’un talent en constante évolution, faisant de l’un des derniers grands peintres du XXe siècle un pionnier enthousiaste et enthousiasmant de l’histoire du XXIe, réussissant en un geste conceptuel à faire se rejoindre les époques, de l’école du paysage à l’immersion dans la nature, de l’impressionnisme à une forme sensible d’art numérique, qui n’aura jamais si bien porté son nom.