Erwin Olaf, Berlin — Galerie Rabouan Moussion
Enfant imaginaire de Vermeer pour son sens de la lumière, fils spirituel de Witkin et Mapplethorpe, Erwin Olaf compose avec ce qu’il a vu. Mais pour la première fois peut-être, cet artiste total fait naître un monde unique, pur et proprement sien. Mature, diront certains. En témoigne l’exposition Berlin présentée avec une conviction virtuose par la galerie Rabouan Moussion.
« Erwin Olaf — Berlin », Galerie Rabouan Moussion du 5 octobre au 30 novembre 2013. En savoir plus Berlin. 1989. Le mur tombe. Erwin Olaf est là. Observateur, acteur, il sent la ville et y fait la fête. Démoniaque, démesurée, pleine d’espoir. À la recherche d’un souffle vierge. Aujourd’hui, il revient sur ses pas, traite de la capitale allemande et en livre une vision douce amère, d’une mélancolie assassine. Que sont devenus nos rêves semble-t-il nous dire ? Face à nous, un manège tourne indéfiniment. Dans cette installation, des enfants représentés par des mannequins sans tête tournent en orbite autour d’un clown penché, accablé sous le poids de l’évidence, il n’y a plus rien à espérer. Circulez, rien à voir, la fête est finie. L’ombre du nazisme n’est pas loin. Les camps rôdent et même si les langues se délient et la vie reprend son cours, les traumatismes se sont encrassés dans les corps. Jesse Owens a gagné quatre médailles d’or… sous les yeux d’Hitler. La lumière, les ténèbres se mêlent jusqu’au vertige nous crie sa troublante photographie Freimaurrer Loge Dahlem.Cette première salle est aussi l’occasion de découvrir une des plus belles compositions récentes de l’artiste Olympia Stadion Westend. Dans cet autoportrait à la force plastique époustouflante, on y voit le photographe monter les marches. Deux lectures en sont possibles. Erwin, victorieux et allègre monte les marches de la gloire dans un lieu de pouvoir hautement symbolique (le stade accueillit en 1936 les Jeux Olympiques à Berlin). Ou bien, il s’essouffle marche après marche. Pour ceux qui connaissent ses problèmes respiratoires, l’hypothèse n’est pas anecdotique. Comment une silhouette, de dos, peut-elle en tout cas inspirer à ce point une vision en même temps que son exacte contraire ? Synthèse, pourrions-nous dire. Exercice auquel le plasticien se confronte sempiternellement dans une dialectique qu’il a depuis ses débuts fait sienne. Et où mieux que dans cette série Berlin, les contraires se retrouvent comme par magie réunis ? Une vieille femme au décolleté défraîchi semble rire autant que pleurer. L’enfant, figure récurrente de cette dernière série, tyrannique fait à la fois peur et sourire. Ainsi, le message passe, fondu dans d’apparentes contradictions devenues sous son objectif réconciliées.
La terreur du nazisme. La toute puissance de l’enfant post-moderne. La vieillesse décatie mais sublimée. Le caractère pathétique du pouvoir. Olaf ne traite pas un sujet sans en évoquer mille autres. Sans pagaille. Avec le parti-pris de laisser le regard se balader entre différentes interprétations. Certains verront ici une dénonciation du troisième Reich, d’autres une forme de désillusion quant à ce qu’aurait pu (dû ?) devenir Berlin une fois libérée de son carcan. Nulle définition ne saurait de toute façon rendre compte de l’idée sensorielle du Berlin qu’Erwin Olaf crée ici brillamment par l’image.