Esther Ferrer — Mac/Val
Avec cette très belle rétrospective intitulée « Face B. Image / Autoportrait », c’est une figure de l’art atypique et singulière qui se voit honorée par une institution en France, son pays d’adoption depuis les années 70. Pionnière de l’art performatif et de l’implication de son propre corps comme sujet de ses œuvres, Esther Ferrer décline avec malice, dans cette exposition consacrée à ses « autoportraits », son visage à l’infini. Un monde ludique dans un espace-temps, l’espace d’une vie.
« Esther Ferrer — Face B. Image / Autoportrait », MAC VAL Musée d'art contemporain du Val-de-Marne du 15 février au 13 juillet 2014. En savoir plus D’autoportrait pourtant, il n’est pas question lorsqu’Esther Ferrer utilise pour la première fois son visage pour réaliser une œuvre. Comme elle le confie dans la très belle interview présentée au sein du parcours, c’est d’abord dans un souci pratique que l’artiste se fait cobaye de ses propres expérimentations. Pourtant, au fil du temps, cette relation à soi ne va pas manquer de faire naître des problématiques inhérentes à sa propre vision de l’art. Son visage multiplié à l’envi devient une marque de fabrique, sobre et sans fard, il insiste, répète et martèle une neutralité essentielle et sans fin. Émerge insidieusement, dans cette compilation savamment orchestrée par le commissaire Frank Lamy, une lutte intestine entre le dépouillement formel et la répétition quasi obsessive d’une identité.Premier témoin de son art (puisqu’elle le vit), Esther Ferrer réussit ce renversement essentiel de faire de son art le témoin de sa vie. C’est peut-être ce qu’elle a toujours cherché, répondre à la question, « Qu’est-ce que l’art autant que l’artiste a à donner ? », ou plutôt « Qu’est-ce qu’utiliser sa propre image sinon puiser dans toutes les expériences de représentation par l’art pour tenter de donner quelque chose qui soit véritablement soi » ? À n’en pas douter un point crucial auquel nous confronte l’exposition de celle qui n’a « jamais voulu faire d’autoportrait », nous plongeant dans l’ambiguïté essentielle de la notion de « sujet », ici aussi bien motif au cœur de l’œuvre que conscience agissante et créatrice, la sienne. Précisément parce qu’elle ne voulait pas faire d’autoportrait, Esther Ferrer a livré le vérité du portrait d’artiste, le corps comme support pour offrir une image nouvelle.
La magie de cette exposition est de faire de cette salle une géographie de l’existence, où les repères temporels (tels ces portraits réalisés à des années d’intervalle, Autoportrait dans le temps ) nous parlent moins du passage du temps que de l’identité à soi, où les années n’ont rien d’une biographique mécanique mais participent organiquement à l’évolution créatrice d’une existence. Dépouillée de toute fiction, cette multiplication de balises annule la linéarité du temps pour lui préférer une définition par soubresauts, par inspirations. Un temps qui est finalement proprement celui d’Esther Ferrer qui, à travers son art, ses gestes, sa pratique, offre le spectacle d’une véritable biographie universelle, le spectacle même d’une vie d’artiste et, par extension, la preuve de vie de l’art.