Ficre Ghebreyesus — Galerie Lelong & Co
La galerie Lelong présente une exposition de l’artiste américano-érythréen Ficre Ghebreyesus, dont l’œuvre peint, jamais exposé de son vivant, nous saisit par la tension née de la résolution déterminée des contrastes, la maîtrise des tonalités et la fragilité des silhouettes.
« Ficre Ghebreyesus — Map / Quilt », Galerie Lelong & Co. Matignon du 8 septembre au 22 octobre 2022. En savoir plus Découverte, pour beaucoup, au cours de la dernière Biennale de Venise, sa peinture déploie une palette complexe de sentiments et de formes qui se partagent entre expérimentation enjouée de la représentation et maitrise du sujet. Une singularité qu’entretint toute sa vie ce peintre libre, marqué par une jeunesse d’exil à travers différents pays, formé aux arts plastiques aux États-Unis et propriétaire de restaurant ayant toujours refusé d’exposer sa création.Fort de son indépendance, Ghebreyesus multiplie donc les tonalités, les thèmes et les formes pour déployer des multitudes de visions, mises en scène aux positions fragiles ou l’équilibre semble toujours altéré par la possibilité du rêve.
Car Ghebreyesus, avant même de se former plus avant dans la pratique de l’art, évoquait l’acte de peindre comme répondant à un besoin d’une intensité immense, exorcisant dans son expression les expériences traumatiques ayant émaillé sa jeunesse1. Cette résolution de la violence dans la peinture est au cœur du paradoxe Ghebreyesus, figurant derrière le calme et la solitude apparents de ses images une terrible appréhension de l’effondrement, la persistance de sa conscience d’un écroulement possible.
Marqué par l’esthétique hétéroclite de la ville d’Asmara dont l’architecture colonialiste italienne côtoie les édifices et représentations religieuses coptes et musulmanes, où l’urbanisation reste liée à la géographie rurale dont sont issues de nombreuses familles, son dessin porte la mémoire de cette culture esthétique de l’image évocatrice, de la narration par l’allégorie.
Si elles sont ainsi polymorphes, ses figures largement inspirées également de l’histoire de l’art se rencontrent et dialoguent avec une certaine cohérence, usant de la peinture comme il dessinerait des pièces à assembler entre elles pour former un puzzle virant bien souvent à la représentation kaléidoscopique du rêve. Une dynamique de la vie qui suit les formes de ses motifs pour développer, comme un fil narratif, des transformations biologiques, allongeant ou rabotant les corps jusqu’à leur mutation. Empruntant autant à la peinture moderne qu’aux représentations traditionnelles, au collage qu’au tissage, sa construction par zones semble toujours convoquer la possibilité de la faille, de la béance.
L’exposition rend parfaitement cette tension entre classicisme et invention de compositions franches, à vivre comme on pénètre les souvenirs d’un absent. Si elles ne se laissent décrypter que difficilement, ses toiles invitent à la rêverie et nous plongent dans des scènes du quotidien d’un monde qui n’a rien de banal, où le rêve semble dicter la norme.
C’est peut-être ainsi parce que nous découvrons son travail comme un testament que l’urgence de vivre, la prégnance d’une recherche de ce qui est juste et bon 1 (« goodness ») nous touchent autant. Parce qu’il n’est plus un « vivant » que la peinture qu’il nous lègue dégage plus encore de force de vie.
1 La famille de Ficre Ghebreyesus partage sur le site Internet qui lui est consacré la lettre de motivation formidablement touchante et faisant presque figure de profession de foi qu’il avait adressée à l’académie de Yale pour y entrer. Lien