Xie Lei — Semiose galerie
Semiose présente une très belle exposition personnelle de Xie Lei qui, au long d’une dizaine de peintures, fouille derrière la sobriété de sujets d’apparence éthérée la brutale nécessité de repenser le désir.
« Xie Lei — Chant d’Amour », Galerie Semiose du 3 septembre au 8 octobre 2022. En savoir plus D’emblée on est frappé par l’efficacité esthétique de la touche, son intensité et sa réalisation. Une habitude pour ce peintre chinois né en 1983 dont les sujets, éthérés, imposent toujours une certaine distance vis-à-vis du réel, figurant par la confusion des traces et reliefs la liberté qu’il s’accapare dans la figuration. Au cœur de cette nouvelle exposition Chant d’amour, du nom du film de Jean Genet mettant en scène des prisonniers et leurs gardiens dans des solitudes sensuelles, Xie Lei explore cette fois directement la matière existante d’un imaginaire qui le précède. Un ocre fauve qui suggère les détails plus qu’il ne les souligne, une peinture puissante qui ne verse pourtant pas dans la surenchère et parvient, à travers ses changements de tonalité, à imprimer un véritable rythme qui en allège la dynamique.S’attaquant à une œuvre pleine d’inventions visuelles et d’images iconiques (le trou dans le mur pour souffler la fumée de cigarette, le passage de main en main d’objets via la façade, la force presque animale que prennent les murs), Xie Lei étonne presque en s’attachant plus encore à l’atmosphère générale, préférant s’emparer d’un esprit plutôt que de la vertu iconique de la photographie du film à laquelle aurait participé Jean Cocteau. Le sacré se joue donc ici dans l’humeur fauve, dans le dépassement plutôt que dans l’artefact.
Xie Lei capture ainsi la dimension dramatique de l’ensemble des plans de cette lascive et tragique chorégraphie qui mène au plus intime de l’homme, dans sa condition d’enfermement où le désir dessine, dans la cellule, les lignes mouvantes d’un paysage toujours en ébullition. Avec un travail particulièrement réussi sur ses fonds, l’artiste intègre ses silhouettes dans leur environnement physique en privilégiant l’aspect symbolique à la crudité sexuelle, à l’obscénité pourtant essentielle du film. Le volcan ici se joue ailleurs, dans la fumée de cigarette couvrant le visage de son personnage, dans les sinuosités qui les unissent, dans les contours vaporeux qui font osciller les corps entre chair alangui et spectre lancinant. Un décalage surprenant avec la frontalité initiale de Genet qui déplace le statut de l’artiste, voyeur (comme tout spectateur du film) refusant sa condition et lui préférant l’interprétation, la distance quasi transcendantale de la condition de ces hommes.
La dimension spirituelle, en ce sens d’un dédoublement des plans de vie, apparaît ici avec force, ajoutant et emmenant des silhouettes qui ne sont que les reflets d’une première, prisonnière possédée par son propre désir. C’est alors aussi le jeu, la fantaisie d’une manipulation du serpent, du flirt avec la mort et l’abandon des sens dans l’extase, l’abandon du sens dans la fin. Mais cette fin, comme le rappelle Le Gall dans son texte introductif n’est peut-être pas celle que l’on croit.
On comprend alors que si la transe remplace la danse, si le spirituel détourne la force plastique du désir sexuel comme dernier refuge avant la mort de l’âme, la morne solitude du sommeil privé, c’est qu’une forme de transition est à l’œuvre. Une pudeur et une délicatesse qui pourraient alors se lire, in fine comme une entrée radicale, bien qu’en sourdine de « l’innomable » dans l’imaginaire collectif et surtout collectivisable, dans l’inversion d’un désir que la norme a rendu particulier en une part de désir universel qui partage définitivement la même langue que tous.